Ce texte est
extrait de l'ouvrage : (pp. 17 à
23)
Les silences
de Monsieur
l'Inspecteur
de
Philippe Lobstein
Caux
éditions, 1998,
Suisse :
rue du Panorama, 1824 CAUX
France :
22 av. Robert Schuman
92100
BOULOGNE
BILLANCOURT
ISBN
:88037-033-7
Le bruit de
fond
J'étais
inspecteur primaire depuis plus de vingt ans.
J'avais visité beaucoup d'écoles,
parlé à un grand nombre
d'administrateurs, de directeurs, d'instituteurs,
de parents.
J'avais
interrogé beaucoup d'élèves
pour vérifier leurs connaissances. Pourtant,
je ne leur avais jamais parlé. Parlé
directement comme à des amis.
Un jour, j'ai décidé de le
faire. Pas de discours, pas de sermon, pas de
leçon. Alors quoi ?
Enseigner, c'est
parler, parler, parler. " Après un quart
d'heure, on ne vous écoute plus ", m'a dit
un élève à la fin d'un cours
de deux heures, au début de ma
carrière.
Parler
sans être écouté ?
Etait-ce cela l'enseignement
?
Et
si enseigner, c'était d'abord
écouter? Et, pour cela, commencer
par faire silence en soi-même
?
Ecouter les enfants, comme des personnes
singulières, qui vivent une
expérience unique et peuvent en dire ce que
personne ne peut dire à leur
place.
Se taire. Se taire aussi avec eux, pour que
chacun puisse écouter son cur et dire
une parole authentique, sortie du silence
intérieur.
Gageure ? " Les enfants d'aujourd'hui,
m'a dit une institutrice, n'aiment pas le silence.
Il leur faut du bruit de fond. "
Le bruit de fond, c'est
peut-être moi.
Bien souvent, la classe est un lieu
d'agitation, de bavardage, quand ce n'est pas de
chahut. La violence n'est pas loin.
Et si j'essayais, moi
d'abord, d'introduire le silence dans la classe
?
Je choisis une classe coopérative,
déjà entraînée à
une méthode qui incite les
élèves à préndre des
responsabilités. L'institutrice, qui se
trouvait être en même temps la
directrice de l'école, avait la passion des
enfants et, surtout, des enfants en
difficulté. Pour elle, l'école devait
offrir une chance égale pour tous, une
chance de s'instruire, bien sûr, mais aussi
d'apprendre la vie, la vie avec les autres et,
ainsi, de se découvrir
soi-même.
Parmi la trentaine d'élèves
qui composaient ce cours moyen, sept étaient
marginaux. Ils se trouvaient là à
cause de leur âge - neuf à onze ans -
et parce que les maîtres des cours
préparatoires et élémentaires
ne savaient plus que faire d'eux. L'un ne savait
pas lire. Un autre écrivait en charabia. Un
troisième, très fantaisiste, se
montrait incapable de soutenir son attention. Un
autre encore avait été renvoyé
d'une école voisine, pour vol. Les trois
derniers atteignaient à peine le niveau du
cours élémentaire.
Sur le reste de la classe, de niveau moyen,
trois élèves se distinguaient par
leur maturité et leur vivacité. En
particulier l'un d'eux, qui parlait peu, tenait
parfois des propos d'une sagesse surprenante. Une
petite fille raisonnait, parlait, écrivait
comme une adulte. Une classe
hétérogène, comme dans la vie
où chacun diffère de
l'autre.
Avant la rentrée, j'avais convenu
avec la directrice d'animer des entretiens libres
avec les élèves de cette
classe-là, une matinée par quinzaine.
C'était l'occasion pour moi de mettre
à l'épreuve, concrètement, les
nouvelles instructions ministérielles sur
l'éducation morale et civique, de pratiquer
des " moments privilégiés de
réflexion " sur la vie de la classe,
l'environnement, le monde.
Le terme " moments
privilégiés de réflexion "
figurait dans les Instructions officielles de 1977
(réforme Haby) qui voulaient
réhabiliter l'éducation morale et
civique tombée en désuétude.
Ces moments pouvaient porter sur la vie de la
classe, du quartier, les informations des
médias, ou tout sujet d'intérêt
général. La plupart du temps, les
instituteurs ne savaient pas comment appliquer ces
textes remarquables et profiter de la
liberté qui leur était
donnée.
Ma femme, avec qui j'avais parlé de
l'expérience que je voulais faire, m'avait
encouragé. Pour conjurer l'angoisse d'un
premier silence en classe, elle m'avait
suggéré de proposer aux enfants un
sujet de réflexion : "es-tu heureux
à l'école ? Sinon, que faire pour le
devenir ?"
Cet autre qui est aussi
nous-même
Donc, c'était la rentrée. J'ai
posé aux enfants la question du bonheur en
classe.
Je leur ai
demandé de réfléchir quelques
instants, en silence, et de parler ensuite, en
toute liberté, s'ils en avaient
envie.
Le silence ! C'est gênant. Des enfants
rient, se regardent avec étonnement. "
Garder le silence, expression étrange, a
écrit Bernanos. C'est le silence qui nous
garde. "
Je prends une feuille de papier et me mets
à écrire quelques mots. Des
élèves font de même. On joue.
Nous redécouvrons le silence, cette descente
en soi-même. Des pensées enfouies,
oubliées, remontent à la surface. Le
silence devient un nouvel élément. Il
se nourrit de lui-même ou d'un "
au-delà de lui-même ". On y
goûte et on trouve que c'est bon.
Au bout de quelques minutes, c'est le retour
de la parole. Parole de reconnaissance d'abord, qui
peut paraître conformiste bien que contraire
à l'opinion couramment répandue de la
sinistrose dans l'enseignement.
"Oui,
nous sommes heureux de cette
rentrée.",
"Nous
avons retrouvé nos
camarades.",
"La
maîtresse nous aime
bien.","
Nous la connaissons
déjà.",
"L'année
dernière, nous avons participé
à des ateliers qu'elle
dirigeait.",
"Elle
aime la gymnastique, les sports, la musique, les
belles histoires.",
"Nous
aimons lire avec elle. Quand il y a plusieurs
personnages, nous lisons comme au
théâtre."
Et moi aussi, ai-je ajouté, je suis
content de ce premier moment que nous avons
passé ensemble. Nous apprendrons à
nous connaître et nous pourrons nous aider
dans le travail et dans la vie.
Alors tout serait-il pour le mieux dans le
meilleur des mondes scolaires ?
Ne rêvons pas. La dure
réalité nous frappe en plein
visage.
Au milieu de cette euphorie, un
garçon, au fond de la classe, se met
à pleurer. Ses camarades l'ont à
peine remarqué, mais la maîtresse n'a
eu d'attention que pour lui. Pendant
l'échange amical, elle l'a regardé
longuement, comme si elle avait souffert avec
lui.
Elle s'assied sur son banc et lui demande
doucement :
"Philippe,
qu'est-ce qui ne va pas ? Pourquoi pleures-tu ?
Peux-tu nous le dire ? Tu n'es pas heureux ici
?"
Toute la classe est tournée vers ce
camarade qui a du chagrin. Alors, il dit ce qu'il
n'a jamais dit à personne :
" Je ne
suis pas heureux à l'école. Je
n'aime pas l'école. J'ai peur. Je ne sais
pas lire et les autres se moquent de moi.
"
La parole est libérée et
libératrice. Spontanément cette fois,
un nouveau silence s'établit : il est
là, à nos côtés, notre
camarade ; nous rions quand il bute sur chaque mot
en lecture ; pour nous, c'est amusant, mais pour
lui...
En réfléchissant, on commence
à penser autrement, à entrer dans le
cur de l'autre. Cet autre, qui est aussi
nous-même.
"Je
sais comme ça fait mal quand on se moque
de moi," dit un enfant. "Quand cela
m'arrive, je n'ai plus envie de rien
faire."
A la fin de la
classe, une élève propose
:
"Nous
n'allons plus nous moquer de Philippe. Nous
allons l'aider."
Promesse tenue. Quinze jours après,
je retrouve la classe avec la pensée, encore
vive, de l'expérience
précédente. Philippe est
absent.
"Il est
malade," me disent aussitôt les
enfants.
Le silence s'établit presque de
lui-même et se remplit de la présence
de Philippe. Hier méprisé, il devient
le centre des préoccupations de ses
camarades. Ils imaginent mille façons de lui
faire plaisir : lui envoyer des dessins, lui
écrire quelques mots, lui rendre visite, lui
montrer qu'on ne l'oublie pas.
L'entretien se
poursuit en exercices de dessin. Les plus beaux
sont adressés à
Philippe.
Quinze jours
passent. Les enfants se précipitent vers moi
dans la cour :
"Philippe
lit ! Philippe lit !"
Au début de la classe, Philippe prend
un livre et commence à lire, d'abord d'une
voix hésitante puis plus assurée. Il
lit un paragraphe, un second. La classe
éclate en applaudissements. La
maîtresse l'embrasse :
"Tu
sais lire comme les autres. Tu vas pouvoir faire
tous les exercices que tu ne réussissais
pas."
Peu après,
en effet, Philippe s'est montré excellent en
mathématiques. Auparavant, il ne pouvait pas
lire les énoncés des
problèmes.
Ce
matin-là, nous avons
célébré la première
victoire de la classe.>>
Texte envoyé
par Georges
Hervé
<<"Une parole pleinement humaine est
une parole chargée de sens et
qui,
de ce fait,
possède déjà en
elle-même une certaine efficacité sur
les
êtres et
les choses. Discipliner sa parole est le premier
pas pour
mettre de
l'ordre dans sa tête. Le premier pas pour
mettre de l'ordre
dans ses
relations. Le premier pas pour contribuer au
développement de
la culture et
à l'élaboration de la civilisation,
même modestement. Le
premier pas
pour trouver sa juste place dans la
société.
La
maîtrise de la parole appelle celle du
silence : du silence qui la
précède
et lui permet de mûrir, comme du silence qui
lui succède et lui
permet de
livrer tout son suc. /
Le silence vivant porte en lui la parole
comme une femme porte son
enfant. Seul le
silence, vécu dans la conscience, peut
accoucher d'une
parole pleine
de sens. Et en retour, c'est d'une parole pleine de
sens
que peut
émerger un silence qui soit un
au-delà de la parole, et non
un
en-deçà.
Une parole qui renvoie à un niveau
supérieur de conscience.
Silence et
parole, pour qui progresse sur le chemin de
l'éveil, ne
cessent de se
féconder mutuellement./
Lao Tseu affirme que celui qui parle ne sait
pas. Quant à celui qui
sait, il ne
parle pas ! Celui parmi nous, qui est un être
humainement
accompli n'a
plus besoin de beaucoup de paroles pour s'exprimer.
Sa
présence
silencieuse est déjà un message. Sa
posture, son regard, son
sourire sont
déjà porteurs de paix, avant
même que ne s'élève le son
de
sa voix et que
ne s'articulent les paroles qu'il choisit de nous
adresser.">> Bernard Besret *Du bon
usage de la vie* Ed Albin Michel./
Et encore
:
"Dans le silence seul, la
vérité de chacun se noue et prend
des
racines." A.
de Saint Exupéry. /
"Nous avons
perdu l'amitié du silence. Il faut que
quelque chose se
taise pour que
quelque chose soit entendu."
F.Maulnier/
"L'herbe,
dites vous, ne fait aucun bruit pour pousser,
l'enfant pour
grandir, le
temps pour passer
Vous n'avez vraiment pas
l'oreille fine."
P.A.
Biro
"Le
bruit ne fait pas de bien. Le bien ne fait pas de
bruit."
"Chaque
goutte de silence est la chance d'un fruit
mûr." P.Valéry
>>
<
<Dans mon expérience de
formateur d'adultes, j'utilise
fréquemment le
silence pour
laisser le temps de réfléchir
à une question, de
"digérer"
une notion, de
laisser monter en soi son ressenti, son
questionnement
propre.
Fréquemment, dans leurs
évaluations ou lors des partages dans le
groupe,
certaines
personnes disent à quel point elles ont
apprécié ces
moments
sans pression
qui les aident à accueillir leur propre
personne. Plus
rarement,
certains se disent dérangés par le
rythme, trop lent à leur
goût, que
cela induit.
Ce silence bienfaisant ne peut être
accueilli que dans un groupe qui
a
choisi
d'expériencer la confiance et les
différents moyens qui y
concourent.
J'ai moi aussi
besoin de ce silence, que j'ai la chance de trouver
dans
une
activité agro-biologique quelques jours par
semaine. Dans les
vergers ou dans
les champs remontent à ma conscience des
visages ou des
situations, se
préparent des interventions, se
créent des outils nouveaux...
Se donner ce temps du silence lors des
formations, l'apprivoiser pour
soi-même
et ensemble, me semble être un des plus beaux
cadeaux que nous
puissions nous
faire. Il ouvre les chemins d'échanges
riches et de
relations
vivantes. Il féconde notre action
personnelle et collective.
C'est du moins
ce que j'expérimente et ce que
crois.
j'y suis donc
en grande compagnie!
Envoyé
par
François Cribier
<< Dans une des formations que je
donne aux futurs chefs d'établissement du
privé, un des powerpoints que j'ai
préparés, se termine par cette
sentence : "N'ayez pas peur du silence, il se
comblera de lui-même!" C à d que
nous n'aimons pas le temps de silence dont l'autre
à besoin pour trouver une réponse qui
ne soit pas préconçue,
télécommandée,
"téléphonée" comme on
dit parfois au cinéma. Et que nous
"volons au secours" des muets de service de
peur que le silence s'installe. "Je vois ce que
vous dites et j'entends ce que vous ne dites
pas."
Dans "Mulholland drive". Un critique du film
écrit : "David Lynch est à
limage de lillusionniste du cabaret
Silenzio, où le son ne correspond pas
à limage (le play-back), la narration
y est construite de circulations mentales
cryptées à lécran
saisissant le simulacre de lêtre et la
perméabilité de son inconscient."
Combien d'enseignants demandent aux
élèves de faire du play-back ?
Mais peut-être après tout, si l'on
adhère à cette
perméabilité de l'inconscient, que
des choses se jouent dans cette comédie
(in)humaine :
All the
world's a stage,
And all
the men and women merely
players:
They have
their exits and their
entrances;
And one
man in his time plays many
parts...
|
Le monde
entier est une scène de
théâtre,
Et tous
les hommes et les femmes n'en sont que les
comédiens:
Ils y font
leurs sorties et leurs
entrées;
Et chaque
homme à son tour y joue bien des
rôles...
|
Tout cela, par libre association me fait
penser au livre "Les savoirs ventriloques ou
comment la culture parle à travers la
science", Seuil, 1983. Petit traité
d'épistémologie des sciences
où dans le fond on se dit que nous sommes
tous à faire un grand numéro de
ventriloquie entre nos "bons maîtres"
et nos "bons élèves".
Peut-être faudrait-il marquer sur un coin de
notre pense-bête imaginaire : étudier
le syndrome du "bon élève" et
le rêve de chaque enseignant à devenir
l'incarnation du sage et "bon
maître".
Les enseignements
ventriloques ou comment la culture parle à
travers le silence ?
Toujours en association libre, la petite
phrase de Monsieur Lelay : «Le
métier de TF1 c'est d'aider Coca-Cola
à vendre son produit (...). Ce que nous
vendons à Coca-Cola, c'est du temps de
cerveau humain disponible.» «Pour les
annonceurs, le temps d'antenne ne représente
rien d'autre que des "contacts clients". De
l'attention humaine.»
Où l'on revient à la machine
à décerveler !
Alors tout à
coup, je m'exclame et me mets à penser que
toute conduite transgressive à
l'intérieur du système est un signe
de santé. Pensée dangereuse car
là aussi, le vieil adage reste valable :
"Hors de l'Eglise, point de salut!" et il faudra
qu'un jour ou l'autre nos petits chérubins
accèdent au premier entretien de la
première embauche. Ce n'est peut-être
pas un hasard si certains pensent que les
événements estudiantins en
Grèce ont sonné le glas de la
réforme du Bac en France, et que ces
mouvements d'étudiants exprimaient le ras le
bol de la "génération à 600
euros".
"Ach, gross malheur la guerre!" Hobbes
reprend du poil de la bête avec son "Homo
homini lupus!" empruntée à Plaute :
L'homme est un loup pour l'homme, ce qui, vous en
conviendrez, n'est pas très gentil pour le
loup. Serge Bouchard,Quinze lieux communs, Les
armes, éd. Boréal >>
Le MAN
(Mouvement
pour une action
non-violente)
organise une campagne pour demander
l'interdiction de la publicité
destinée aus jeunes enfants.
Pour cela, il préconise notamment des
manifestations silencieuses.
J
e vous joins un extrait de la
présentation de cette action. Je ne sais pas
si cela pourra vous intéresser : il s'agit
là d'une utilisation du silence
(prolongé : 1 heure !) comme "arme"
revendicatrice.
Que faire
concrètement ?
Manifester dans la rue de manière
non-violente, par des heures de silence
régulières dans de plus en plus de
villes, afin de mobiliser une opinion publique qui
fasse pression sur les pouvoirs publics. Pour
cela
contacter le MAN
et/ou le contact local.
Pourquoi
des heures de silence dans les rues
?
C'est le moyen non-violent retenu
utilisé par les groupes du MAN. De plus en
plus de groupes locaux du MAN, ou proches de lui,
organisent régulièrement des heures
de silence dans les rues de leur ville. Cela
consiste à occuper un espace
piétonnier, sans gêner la circulation,
en se tenant debout, en ligne immobile, et en
silence durant une heure, avec des panneaux
expliquant la loi demandée par le MAN. Cette
forme d'interpellation est typiquement
non-violente. Tout passant, de tout âge, peut
venir s'y joindre. Des cartes postales sont
proposées à la population. Elles sont
à envoyer au président de la
République, au président de
l'Assemblée nationale et au CSA, afin qu'ils
agissent pour faire voter une loi semblable
à celle qui existe en Suède et qui
protège les enfants des fléaux de la
publicité.
Amicalement,
Georges
HERVE
|