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Les maths et le sentiment de

"construire "quelque chose

          L'impression de construire quelque chose quand on fait des mathématiques est fréquente chez certain élèves. Construction aboutisant à la découverte de chose nouvelles importantes (base de tout le reste), pouvant aller jusqu'à la construction d'un "autre univers". Ce senntiment s'oppose à celui de risque de « destruction ». C'est pourquoi, j'émettrai l'interprétation suivante : ces questions expriment la mise en oeuvre du mécanisme de réparation.

           Cette réparation peut être le « désir et la capacité de reconstituer le bon objet, interne et externe, qui sont la base de la possibilité du moi de maintenir l'amour et les relations à travers les conflits et les difficultés » (Ségal., p. 97). Mais elle peut aussi être réparation maniaque « en ce sens qu'elle vise à réparer l'objet de telle manière que ni la culpabilité, ni la perte ne soient jamais vécues » (Ségal., p. 101).

           Voici un exemple de la première interprétation de cette attitude de réparation ; elle est un peu comme le pendant de l'attitude « projection d'un danger ». Les élèves exprimaient la peur d'une « destruction par l'objet mathématique » ; ici, l'angoisse de destruction est refoulée par une formation réactionnelle sous forme de sentiment de réparation, de construction, de découverte :

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N : Vous fabriquez quelque chose ?

E : Oui, en faisant des maths, on se fabrique quelque chose. On fabrique quelque chose. Alors c'est pour ça... on aime bien ; tout le monde aime bien fabriquer quelque chose, je pense. Parce que si on n'arrivait pas à fabriquer quelque chose, enfin trouver... trouver la paix, avoir justement la joie de l'avoir fait ; je crois qu'on en ferait plus, en tout cas, moi, j'en ferais plus...

N : Vous avez l'impression de fabriquer quelque chose qui vient de vous ?

E : Ah oui ! qui sort de nous. Oui, comme quelque chose qu'on a pensé, qu'on a trouvé, qu'on a montré. Oui, parce qu'un problème, bien sûr, le départ ne vient pas de vous, mais après ce qu'on doit faire, le plus important, ça doit être fait par nous.

Cette fille de série scientifique a l'impression de créer quelque chose qui sort d'elle et dont l'origine ne vient pas d'elle. On peut y voir un fantasme d'enfantement qui lui apporte la paix.

 

On retrouve le même sentiment chez un professeur Roger:

 

 Roger dans un entretien de trois quarts d'heure utilisera 49 fois les termes "construire", "construction" ou "reconstruction".

           Cette fréquence montre déjà son importance. Roger le dit du reste explicitement: «Cette idée de construction... ce n'est pas pour rien que j'utilise ce terme, c'est qu'il correspond à un goût de construire quelque chose dans l'existence. » Chez lui, on retrouve ce goût partout: il "construit des projets", il fait son "boulot" en "construisant quelque chose", il "adore reconstruire de vieilles maisons". Il emploie même ce terme dans des expressions peu habituelles telles que "construire un enfant". C'est aussi cette idée qui anime ses choix: en épistémologie il étudie "comment se construisent les choses", en histoire c'est "la genèse" qui le passionne, en psychologie c'est ce qui l'a fait "beaucoup adhérer aux idées de Piaget" à une époque où il a vraiment senti "que cette idée de structuration progressive", lui, il l'avait vécue. C'est la musique très mathématisée qu'il aime et dans le domaine des arts, il fait des cours sur "la composition des éléments topologiques dans la construction des tableaux de la Renaissance". C'est donc toute sa vie qui paraît conduite par ce thème et on se doute alors que les mathématiques elles aussi vont subir l'influence de ce fantasme sous-jacent.

 

           En effet, on retrouve le même thème quand il parle explicitement des mathématiques: « La plupart des démonstrations, je les retrouvais, c'est-à-dire que je reconstruisais une solution. » Il passe ainsi quinze jours à la campagne pour "retrouver des règles" sur les racines. Il "voit beaucoup plus la construction des notions, la construction des concepts" et surtout il exprime bien ce qu'il ressent dans cette phrase:

«Je construisais des mathématiques, je les construisais moi-même... je m'étais construit un univers, un univers mathématique qui était tout à fait exact, tout à fait solide et où je mettais des pièces petit à petit les unes sur les autres. »

 

           Roger utilise également un autre terme proche de celui de "construire", c'est celui de "structurer". Il l'emploiera 27 fois dans l'entretien. Et pour lui, c'est grâce aux mathématiques que l'on construit ou que l'on structure : « Construire, structurer par les mathématiques, oui, ça peut être intéressant. Les matières que j'aime bien ce sont les matières très structurées : l'algèbre, la topologie. »

 

           Après avoir exprimé longuement ce désir, Roger fait un rapprochement entre l'oeuvre construite et son constructeur: "construire" devient alors "se construire". En fait, quand il fabrique des mathématiques, c'est lui qu'il construit; il le dit explicitement à propos de ses études supérieures:

«Je me suis aperçu que je ne pouvais plus vivre les maths de la même manière, il y en avait trop. La difficulté que j'avais à ce moment-là c'était que je ne pouvais plus, moi, me construire avec ce type de mathématiques. »

 

           D'autre part, il estime les hommes comme Malraux parce que lui, « c'était vraiment un homme qui s'était construit », ou encore: «il y a des gens comme Schweitzer par exemple... qui se sont vraiment construits». Il rapproche d'autre part "se construire" de "se réussir" : « Dans la manière de se construire, il y a la manière de se réussir, c'est comme dans un certain nombre de disciplines hindouistes, par exemple, où l'individu se construit par des techniques. »

 

           Et finalement pourquoi tout cela? « Quand on construit une maison, on aime qu'elle soit bien faite. J'aurais aimé être compagnon au Moyen Age, en somme me réaliser vraiment et réaliser un chef-d'oeuvre aurait été mon but. » Mais plus profondément encore, c'est pour «être quelqu'un qui peut se regarder dans la glace et ça indépendamment d'un sentiment d'orgueil », pour y voir «une image qu'on peut regarder mais qui n'est pas le résultat d'un conflit, qui est simplement qu'on doit être cela».

 

           Cette maison qu'il veut belle, ce chef-d'oeuvre qu'il aurait aimé construire, c'est sa propre image, telle qu'elle doit être dans son esprit, belle parce que "sans conflit", sans doute encore dans "sa totalité" comme les meubles qu'il aime construire. Et c'est pour cela aussi qu'il construit "un univers mathématique tout à fait exact, tout à fait solide" dans lequel il pose "les pièces petit à petit les unes sur les autres".

 

           Ainsi la fonction de l'objet mathématique intériorisé c'est d'être son image, cette image qu'il peut avoir fantasmatiquement l'impression de construire selon ce qu'il désire. Image qui le rassure sans doute contre des angoisses archaïques dont on peut trouver des traces dans ce qu'il nous dit par la suite. On pourra en effet rapprocher ce terme "construire" du terme de "destruction" utilisé sept fois dans l'entretien. Il exprime cette idée en l'attribuant d'abord aux enfants en général: « L'enfant est à construire comme un individu doit se construire toute sa vie. Même si biologiquement il s'appauvrit, il se stabilise (c'est bien connu qu'on est foutu à cinq ans). Même si on s'appauvrit régulièrement, c'est justement cette structure qui va faire qu'on arrive à survivre malgré l'appauvrissement. Et je fais surtout allusion à la destruction des neurones, à différentes choses de ce genre où manifestement on baisse de potentialité, mais cette structure permet de bien fonctionner en définitive. »

           Tout ce qui est destruction le préoccupe: «Ça m'ennuie les destructions dans Paris», ou encore: «Je n'ai jamais compris à la fac que les étudiants détruisent le matériel, c'est quelque chose qui ne me semble pas normal ». Pourtant il ressent quelque chose de l'ordre de la destruction dans son fonctionnement interne: «C'est une manière de réfléchir à toute information qui détruit une partie de cette information, notamment tout ce qui joue au niveau de la spontanéité et de la réponse immédiate. » N'est-ce pas du reste le même sentiment de destruction interne symbolisé par la conscience de la destruction-des neurones qu'il associe à ces pertes de mémoire ou ces absences de souvenirs dont il parlera à différentes occasions : « Par contre, ce qui me fait réflexion maintenant, c'est la manière dont je réagissais en faisant des mathématiques. J'ai toujours été incapable au lycée de communiquer ma solution d'un problème, je ne me souvenais plus de l'énoncé, j'étais incapable de dire ce que j'avais fait. »

           Quand il fait des mathématiques Roger a donc inconsciemment l'impression de construire une image de lui-même "solide", sans les "conflits" qui pourraient le détruire à la longue.

           On retrouve ici certaines propriétés attribuées souvent aux mathématiques: celles d'être "belles", "harmonieuses", "unifiées". Il s'agit encore de projections d'un fantasme pour les constituer en un objet qui peut alors être intériorisé et représenter l'image que le sujet désire de lui-même. Cette image unifiée est là pour le rassurer contre des angoisses archaïques de morcellement. Faire des mathématiques peut ainsi contribuer à cette réassurance narcissique.

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<<j’apprecie bcp l’idee de construction, moi j’ai le sentiment de securite de savoir que ce monde de la raison et de la justice cree par les theories mathematiques est fiable!>>

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