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L'auteur

 

Une analyse des discours des médias

sur la violence scolaire

Benjamin PATY

Ingénieur Méthodes en Sciences Humaines. Spécialité : Psychologie  (L.P.A.)

La violence à l'école :

Etude d'une représentation sociale comme facteur de stress des enseignants

THESE pour obtenir le grade de DOCTEUR DE L'UNIVERSITE DE REIMS Discipline : Psychologie Sociale

Résumé de la thèse:

             Un phénomène comme celui de la violence scolaire, par les nombreuses tentatives d'explications qu'il génère et par la médiatisation à laquelle il donne lieu, représente un enjeu pour les groupes sociaux concernés. Il en influence également les pratiques et les perceptions. Depuis plus de 30 ans, les enseignants constituent une population décrite comme concernée par le stress professionnel. Pourtant aucune modélisation du stress des enseignants n'intégrait jusqu'alors la question de la violence scolaire. En mettant en relation trois champs de recherche - violence, stress et représentations sociales -, nous avons conduit trois recherches empiriques destinées à faire avancer les connaissances sur les conséquences de la violence à l'école sur les enseignants, acteurs sociaux concernés quotidiennement par ce problème : une analyse de contenu des articles de presse et des résumés de recherches scientifiques relatifs à la violence en milieu scolaire, une enquête auprès de 122 enseignants à l'aide de deux questionnaires (une adaptation française du questionnaire de représentation de l'agression (Expagg) et l'inventaire de burnout de Maslash (MBI)) puis, une autre enquête auprès d'un échantillon plus conséquent de 386 enseignants stagiaires à l'aide d'une batterie plus complète de questionnaires relatifs au stress et aux représentations de l'agression analysée par une méthode d'analyse en pistes causales. Les principaux résultats montrent à la fois de fortes similitudes entre le discours naïf relatif à la violence scolaire et le discours scientifique relatif à l'agression, preuve d'une construction sociale de la réalité. Ils montrent également une influence directe de la représentation sociale de la violence sur la santé des enseignants. Ils ouvrent de nouvelles perspectives pour des modélisations du stress des populations confrontées à des problèmes de violence au travail.

 

Directrice de thèse :Madame La Professeure Dominique LASSARRE. Thèse soutenue par Benjamin Paty le 28/06/2004

JURY : Monsieur Gilles BAILLAT, Professeur, Directeur de l'IUFM de Reims. Monsieur Michel MORIN, Professeur, Université de Provence Aix-Marseille. Madame Elisabeth ROSNET, Professeure, Université de Reims Champagne-Ardenne. Madame Elisabeth SPITZ, Professeure, Université de Metz.

Les discours des médias.

Extrait (p.111) de la thèse de Doctorat de Benjamin PATY:

" […] notre objectif n'est pas la connaissance du vocabulaire en lui-même et pour lui-même […] mais celle des mentalités et des attitudes latentes qui s'y manifestent. " Antoine Prost (1974) (p.5)

             A travers l'analyse de presse, nous proposons d'étudier à la fois les grandes thématiques de la violence scolaire et la logique discursive. Notre objectif sera en particulier de montrer les similitudes entre le discours scientifique et le discours profane, rapprochement en accord avec la théorie des représentations sociales.

             On peut supposer que le travail de construction de la représentation sociale se fait selon une certaine logique : la représentation doit servir l'individu lorsqu'il lui est demandé de prendre position, d'agir en référence à l'objet social concerné. Nous nous attacherons donc à faire apparaître la logique sous-jacente à cette construction de la représentation de la violence scolaire par les médias.

 Méthode de constitution des bases de données .

             La représentation médiatisée de la violence scolaire a été analysée à travers deux sources distinctes : des dépêches de presse et des articles de journaux et de magazines.

             Ces deux corpus différents et appartenant pourtant au champ journalistique et informationnel présentent des intérêts très différents.

Les dépêches de presse relatent généralement des événements datables et localisables géographiquement. Elles visent la précision et la concision. Elles n'ont pas vocation à analyser l'événement mais simplement à le décrire. Elles ne s'adressent pas non plus au grand public mais surtout à d'autres journalistes et à des services d'information ou de documentation professionnels.

L'article de presse, quant à lui, peut reprendre des éléments d'une dépêche (elles sont conçues dans ce but) mais il est rédigé par un journaliste qui va généralement aller au-delà de la simple description des faits. Le journaliste peut par exemple chercher à interpréter le fait, lui proposer une explication ou encore anticiper ses conséquences. Sur le plan de la relation à la réalité, on peut aussi considérer que la dépêche est au plus près et que l'article est déjà une mise en scène de la réalité comportant davantage d'interprétation.

             La manière dont les rédactions des grands quotidiens et hebdomadaires fonctionnent fait que la dépêche est la principale source d'alimentation en informations nouvelles pour les rédacteurs d'articles dans la plupart des grands medias. Selon nous, la dépêche de presse et l'article correspondent donc à deux temps et deux manières de décrire la réalité en communiquant les faits au public.

             Ecrire un article ou une dépêche sur la violence scolaire relève a priori de la même intention d'informer. Il s'agit de décrire des faits ou l'état d'avancement de réflexions sur la question. Pourtant ces deux types de description de la violence scolaire se font en subissant une certaine subjectivité avec plus ou moins de force .

             Le journaliste décrivant un fait divers de violence scolaire dans une dépêche doit décrire le plus justement possible ce qui s'est passé. Sa propre représentation de la violence scolaire peut le conduire à être subjectif mais cette subjectivité est limitée par l'exercice de style auquel il est confronté (Figure 9).

             En revanche, le journaliste rédigeant un article est beaucoup plus libre de filtrer et d'interpréter la réalité qu'il va présenter. Sans se mettre pour autant au premier plan, il s'assure d'une certaine congruence entre ce qu'il écrit et sa propre représentation de la violence scolaire. Il ne s'agit plus seulement de décrire, il s'agit d'expliquer et de convaincre. L'enjeu est celui de la définition de la réalité sociale dans le groupe social formé par ses lecteurs.

             On peut ainsi supposer que, dans ce type de productions écrites, on pourra davantage retrouver une représentation sociale de la violence scolaire, représentation construite de la réalité, influencée par le discours scientifique et résultant d'un double processus d'ancrage et d'objectivation

Réalité
Dépéche
Article
Réalité

sociale

Subjectivité du journaliste

Flèche en pointillé : influence faible ; flèche pleine : influence forte

Ces deux sources journalistiques différentes ont ainsi été systématiquement étudiées dans une approche comparative et longitudinale à travers deux échantillons dont la constitution va maintenant être décrite.

La base des articles de presse

             La base des articles de presse sur laquelle nous avons travaillé est constituée de la manière suivante :

Elle est composée de 434 articles de presse dont la période de publication va du 01/09/1995 au 05/07/2001. Elle s'étend donc sur 6 années scolaires. Sans atteindre l'exhaustivité, situation idéale en analyse des médias mais utopique (de Bonville, 2000), nous avons cherché à avoir le maximum d'articles traitant du thème de la violence scolaire et publiés dans les journaux et revues sélectionnés(.....)

La base des dépêches de l'Agence France Presse (AFP).

             Les dépêches nous ont été transmises pas une organisation syndicale du secteur éducatif abonnée auprès de l'AFP à un service de dépêches en relation avec le thème de l'éducation. Toutes les dépêches produites par l'AFP avec des mots clés relatifs à l'éducation sur cette période étaient automatiquement adressées à cette organisation syndicale. Sur place, un correspondant nous adressait une copie des dépêches identifiées par l'AFP " violence et éducation ".La base des dépêches de presse sur laquelle nous avons travaillé est donc constituée de 526 dépêches parues entre le 17 septembre 1997 et le 7 avril 2000. Trois années scolaires sont ainsi couvertes.(...)

Journal / revue

Frequence

Pourcentage

France Soir

2

0,5

L'Express

17

3,9

L'Union

1

0,2

L'Humanité

4

0,9

La Croix

103

23,7

Le Canard Enchaîné

1

0,2

Le Figaro

19

4,4

Le Monde

93

21,4

Le Parisien

8

1,8

Libération

184

42,4

Mariane

1

0,2

Nouvel Observateur

1

0,2

Total

434

100,0

 Rappel des hypothèses générales.

             Conformément à la théorie des représentations sociales et notamment au mécanisme d'ancrage, on peut s'attendre à ce que les réflexions sur la violence scolaire des acteurs concernés s'appuient sur ce que chacun sait de la violence en général.

Nous nous intéresserons plus particulièrement à l'évolution de ces discours.

             S'il s'agit d'un vrai débat d'idées, on peut s'attendre à ce que ces discours deviennent de plus en plus riches, la confrontation d'idées différentes donnant naissance à de nouvelles explications ou à de nouvelles solutions à la violence. En revanche, si l'on a réellement à faire à une construction sociale et si la théorie des représentations sociales est à l'œuvre dans cette construction, on devrait voir apparaître dans le discours populaire des productions inspirées du discours scientifique mais avec des processus de simplification. Ceci signifie que dans les plus anciennes réflexions sur le sujet, on devrait trouver un discours assez riche, faisant appel à d'assez nombreuses possibilités d'explications du phénomène, puis, le processus d'objectivation faisant son œuvre, on devrait trouver, dans les réflexions plus récentes sur la question, un discours moins riche, plus stéréotypé et faisant appel à un nombre plus réduit d'explications, toujours empruntées au discours scientifique.

Analyses sur les corpus journalistiques

(...)Le Tableau 8 décrit la répartition des articles de notre base par année scolaire. On constate des volumes d'articles assez différents d'une année à l'autre. Ainsi, l'étude des pourcentages cumulés révèle que près des deux tiers des articles de notre base sont produits sur les trois premières années étudiées. Si l'on coupe en deux périodes ces six années scolaires, on peut donc considérer que la seconde période (à partir de l'année 1998-1999) est marquée par une baisse importante des productions d'articles.

             On pourrait, à première vue, penser que ces variations importantes correspondent à des variations en terme d'événements d'actualité remettant sous le feu des projecteurs le problème de la violence.

             Pourtant, le corpus des dépêches - reflétant les événements importants, jour après jour - nous permet de constater qu'il n'y a pas de relation linéaire entre articles de presse proposant une réflexion ou une analyse de la violence scolaire et les événements réels.

Le Tableau 9 montre la répartition des dépêches sur les 3 années scolaires.

             Il nous permet de voir que l'année 1997-1998, forte en production d'articles " analytiques " sur la violence scolaire, n'est pas particulièrement une année forte en événements donnant lieu à des dépêches.

             Le Tableau 9 présente aussi la répartition des dépêches par mois et par année scolaire. Nous pouvons ainsi nous livrer à une chrono-analyse à l'échelle d'une année scolaire. Alors qu'en 1997-1998 on enregistre une distribution assez uniforme des dépêches au cours de l'année, pour les deux années scolaires qui suivent, on peut noter un important pic sur le mois de janvier.

             Le résumé des trois années de recueil de dépêches, sous la forme du pourcentage (colonne de droite du tableau) montre clairement, à l'échelle d'une année scolaire, une montée en puissance du nombre d'événements donnant lieux à des dépêches, partant de septembre, atteignant son paroxysme en janvier puis décroissant progressivement jusqu'aux vacances d'été.

             On pourrait envisager sérieusement l'idée suivante : alors que le nombre de dépêches ne cesse d'augmenter d'année en année - traduisant l'ampleur grandissant de ce phénomène en terme d'actes -, les articles de presse vont désormais vers une diminution.

             Les articles ayant comme fonction d'aider l'opinion à construire sa représentation et à saisir l'enjeu de cette question, on peut se demander si les explications possibles du phénomène sont épuisées.

             Le phénomène de la violence scolaire se serait-il aujourd'hui tellement banalisé qu'il serait considéré comme inéluctable, ne susciterait plus d'interrogation et ne représenterait plus un véritable enjeu social ?

             La validité de cette analyse est évidemment critiquable pour les raisons que nous évoquions lors de notre présentation de la méthode de constitution du corpus, mais elle peut éclairer certains résultats que nous rencontrerons dans les enquêtes auprès des enseignants dans les chapitres suivants. Elle peut également alimenter notre analyse des éventuelles variations temporelles de richesse et de contenu du discours journalistique sur la violence scolaire.

             Que ce soit au cours d'une année scolaire ou d'une année à l'autre, il y aurait donc des phases plus ou moins importantes de violence scolaire que reflètent les dépêches mais qui ne donnent pas lieu à un relais médiatique en terme d'analyse ou de réflexion sur le problème.

Tableau 8 :

Année scolaire

Nombre d'articles

%

% cumulés

1995-1996

90

20,7

20,7

1996-1997

80

18,4

39,1

1997-1998

104

24,0

63,1

1998-1999

38

8,8

71,9

1999-2000

78

18,0

89,9

2000-2001

44

10,1

100

Total

434

100,0

Tableau 9

Mois

97-98

98-99

99-00

3 années

%

Septembre

1

1

9

11

2,1

Octobre

4

12

16

3,0

Novembre

11

3

8

22

4,2

Décembre

14

33

23

70

13,3

Janvier

8

34

129

171

32,5

Février

9

26

47

82

15,6

Mars

20

14

25

59

11,2

Avril

24

5

4

33

6,3

Mai

15

12

27

5,1

Juin

16

12

28

5,3

Juillet

1

1

,2

Août

3

3

6

1,1

Total

119

147

260

526

100

Première analyse :

             la tendance à expliquer est-elle la même selon que l'on écrive une dépêche ou un article?

              Les connecteurs (conjonctions de coordination et de subordination) relient des parties de discours par des notions de condition, cause, but, disjonction, opposition, comparaison, temps, lieu ou encore manière.

             L'étude de la répartition de ces connecteurs logiques peut nous permettre de valider notre hypothèse d'une plus forte subjectivité dans les articles que dans les dépêches.

             Le Tableau 10 représente cette répartition. On le constate très facilement, la répartition des connecteurs logiques diffère très significativement entre les dépêches et les articles (Chi 2 = 376,18 ; ddl = 7 ; p < .001). Les connecteurs d'additions, qui sont les plus objectifs, sont nettement moins nombreux dans le corpus d'articles, suggérant que les rédacteurs s'impliquent davantage dans l'articulation de leurs idées en faisant plus souvent appel à des connecteurs de comparaison, d'opposition, de disjonction et de causalité.

             Ce dernier type de connecteur étant plus fréquemment employé dans les articles que dans les dépêches, nous allons étudier plus précisément les causes évoquées par les journalistes pour le problème de la violence scolaire.

Tableau 10 : Répartition des connecteurs logiques selon la production journalistique
Connecteur logique
Corpus dépêches AFP
Corpus articles de presse

Condition

1.8%

66

3.7%

354

Cause

5.6%

207

8.4%

811

But

1.7%

63

1.5%

149

Addition

67.9%

2499

49.6%

4810

Disjonction

4.3%

159

7.7%

750

Opposition

10.8%

398

16.5%

1602

Comparaison

4.5%

167

7.1%

692

Temps

3.3%

122

5.4%

527

TOTAL

100 %

3681

100 %

9695

Seconde analyse :

             Retrouve-t-on la thématique scientifique à propos des causes de la violence dans le discours populaire ?

             Création des catégories thématiques issues du discours scientifique.

             Dans le but de concevoir une grille d'analyse thématique du discours journalistique qui nous permette de repérer ce qui est emprunté au vocabulaire explicatif des recherches scientifiques, nous avons effectué une lecture flottante (Bardin, 1993) de 191 résumés d'articles tirés au hasard, signalés dans la base de données Current Contents (toutes éditions) avec comme critères de recherche " (Violence or aggression) and (cause or aethiology) " entre 1996 et 1999. Ceci nous a permis de lister les principales causes de violence envisagées dans les productions scientifiques au cours de cette période. Le choix de cette base de données couvrant de nombreuses disciplines scientifiques, plutôt qu'une base plus spécialisée comme PsychINDEX pour la Psychologie ou comme Medline pour la Médecine, est justement guidé par la nécessité de ne pas influencer a priori le résultat par une étiologie privilégiée par une discipline.

             La base de données Current Contents n'a servi que lors de cette étape de création de catégories de codage basées sur le discours scientifique. Ce corpus n'a pas été analysé. Il a servi à identifier les explications les plus couramment employées pour la violence dans les recherches scientifiques.

             Cette lecture flottante a permis d'identifier 7 grandes catégories de causes proposées dans le domaine scientifique pour les conduites d'agression . Ces grandes catégories regroupent 36 types différents d'explications à la violence recensés dans ces articles.

Elles sont présentées en détail dans le Tableau 11.

 

Tableau 11 : Catégories de codage des causes de la violence dans les documents scientifiques

Catégories thématiques

Unités possibles

CONSOMMATION DE SUBSTANCES :

Drogues Consommation d'alcool Anabolisant, stéroïdes

HORMONO-ORGANICO-GENETIQUES

Niveau de cholestérol hormones Testostérone Organiques (disfonctionnement du lobe frontal) Génétique

SOCIO-ECONOMIQUES

PolitiqueFacteurs matériels (besoin : instrumentalité) Facteurs culturels, ethniques, migratoires Réformes sociales et économiques Pauvreté extrême Disfonctionnement des familles Cultures organisationnelles Environnement de travail

GROUPALES-CULTURELLES

Crise d'identité (ex : masculine) Compétition entre individus ou groupes d'individus (Relations intergroupes) Différences de sexe. Agression valorisée dans la mémoire collective des groupes (hooligans) Compétition entre femelles pour un mâle Taille du groupe Appartenance à des gangs

PSYCHOLOGIQUES / EMOTIONNELLES

Stress, traumatisme Personnalité (manque d'estime de soi, impulsivité) Caractéristiques particulières de l'auteur d'actes violents Retard mental Haine, Colère, Vengeance Faible développement émotionnel et cognitif de l'agresseur Psychologique Absence de notion morale

INSTINCT

Comportements défensifs (ex : animaux qui protègent leur progéniture)

APPRENTISSAGE

Influence des médias (donnent de l'importance à des actes isolés) Diffusion d'images violentes par les médias Subissent des violences à la maison

Dans les dépêches de presse, puis dans les articles

             Nous avons effectué une recherche des différentes occurrences des unités de Tableau 11 faisant référence à ces causes proposées par la recherche scientifique. Parfois, les propositions extraites des dépêches ou des articles sur la base de la présence de ces unités n'étaient pas, à proprement parler, des phrases évoquant une cause. C'est par exemple le cas de la proposition suivante extraite d'une dépêche :

" Le lycéen, qui sortait de son établissement, a été abordé par un groupe de quatre collégiens, un âgé de 14 ans et les autres de 13 ans. " (VERDUN (Meuse), 17 fév 2000),

             Nous avons toutefois pris le parti de les comptabiliser, car bien que représentant plutôt des descriptifs des faits sans causalité, de telles propositions intègrent bien la thématique causale identifiée en construisant les catégories à partir des résumés d'articles scientifiques. Ainsi, dans l'exemple ci-dessus, sans que l'on dise que c'est parce qu'ils sont jeunes ou qu'ils appartiennent à un gang que les agresseurs s'en sont pris au lycéen, la thématique groupale est particulièrement éloquente. Une telle proposition a donc été classée comme correspondant à l'unité " taille du groupe ".

 

Analyse des dépêches.

             Sur les 36 unités d'explications empruntées au discours scientifique, seules 14 unités ont été retrouvées dans les dépêches (cf. Tableau 12).

             Dans les dépêches, lorsque des unités font référence à des explications du domaine scientifique pour les actes violents, elles portent surtout sur des explications en terme d'appartenances groupales (32 % des occurrences).

             Dans cette catégorie, on trouve, par exemple, les propositions suivantes :

" La veille, une bagarre avait éclaté vers 9H00 entre des élèves, membres de deux bandes rivales du collège, les "Mini-gangs " et les "mini-spirales", qui regroupent une trentaine d'adolescents. " (CLICHY-SOUS-BOIS, 8 janv 1999)

ou encore

" Près de deux cents jeunes gens ont pris pour cible jeudi matin deux lycées à Tremblay-en-France (Seine-Saint-Denis) et quatre d'entre eux ont été interpellés après des dégradations, a-t-on appris de source policière " (BOBIGNY, 2 avr 1998).

             La thématique de la violence entre gangs apparaît ici clairement.

             La seconde catégorie d'explications données à la violence (31,8 % des occurrences) retrouvée dans les dépêches concerne le domaine psychologique et émotionnel. Elle est représentée par des propositions telles que :

"Déclarant avoir agi sous le coup de la colère, les parents d'élèves ont regretté ces écrits qui ont dépassé leur pensée, ont-ils déclaré à l'audience " (ROANNE, 24 juin 1999) ,

" À vous entendre je ne suis pas persuadé que vous soyez sur la voie de l'amendement, a déclaré le président du tribunal, Jean-Pierre Beroud qui a ajouté : "Vous êtes un impulsif , il faut vous faire soigner". " (ALBERTVILLE, 11 jan 1999),

Tableau 12 : occurrences des unités thématiques explicatives dans les dépêches.

Thématique

Occ / thématique

Unité

Occ / unité

Groupales

71

Compétition entre individus ou groupes d'individus (Relations intergroupes)

59

Appartenance à des gangs

9

Taille du groupe

3

Psycho-emotionnel

70

Haine, Colère, Vengeance

41

Absence de notion morale

25

Stress

2

Personnalité (manque d'estime de soi, impulsivité)

2

Socio-économique

62

Réformes sociales et économiques

28

Facteurs matériels (besoin : instrumentalité)

18

Politique

13

Pauvreté extrême

3

Substance

10

Drogues

7

Consommation d'alcool

3

Apprentissage

7

Influence des médias (donnent de l'importance à des actes isolés)

7

TOTAL

220

220

ou encore

" Côté prévention, le plan insiste sur l'apprentissage de la morale civique au primaire " (PARIS, 27 jan 2000).

             Nous avons classé ce dernier exemple dans la catégorie psycho émotionnelle car il relève de l'unité " absence de notion morale ". Un autre codage - peut-être plus fin - des catégories aurait pu le mettre dans celles des apprentissages.

             La troisième catégorie importante concerne l'explication de la violence par des facteurs socio-économiques : elle représente 28,2 % des occurrences. Des phrases comme celles qui suivent ont été comptabilisées :

" Selon les premiers éléments de l'enquête, les faits se sont déroulés devant l'entrée de l'Ecole Française de la Jeunesse et des Arts, un établissement primaire et secondaire privé de remise à niveau qui accueille des jeunes défavorisés de l'aide sociale à l'enfance. " (BOBIGNY, 2 dec1997),

" Issues de familles très défavorisées, ces adolescentes, portant talons compensés et T-shirts à la mode, avaient "la volonté de s'en prendre aux gamines des quartiers riches, qui avaient du fric, étaient bien habillées et maquillées". " (TOULON, 21 août 1999) et

"
Enfin, le PS, notant que "les actes de violence se concentrent dans un certain nombre de quartiers", considère qu'il "est urgent de mettre en oeuvre une politique ambitieuse de renouvellement urbain et de mixité de l'habitat". " (PARIS, 25 jan 2000).

             Enfin, cette dernière proposition illustre également la dimension instrumentale de la violence axée sur les biens matériels :

" Il est reparti en emportant du matériel avant d'y retourner, accompagné par un de ses amis ". (BOULOGNE-SUR-MER, 12 fév 1999).

             Les autres types d'unités faisant référence à des explications scientifiques de la violence que l'on trouve sont extrêmement réduits. Il s'agit tout d'abord de la consommation de substances diverses (alcool ou drogue) qui représente 4,5 % des occurrences.

             Comme propositions représentant cette catégorie, on trouve par exemple :

" Selon le proviseur, l'élève était sans doute sous l'emprise de drogue ou d'alcool ". (BEAUVAIS, 8 jan 1999)

ou encore

" L'élève a également été condamné à une mise à l'épreuve de 18 mois, pendant laquelle il ne devra plus fréquenter son lycée professionnel et devra soigner sa dépendance à l'alcool à l'origine de l'incident. " (BRIEY, 17 fév 2000)

             Il s'agit enfin de la catégorie apprentissage seulement représentée par l'unité de codage " influence des médias " (3 %). La proposition suivante est assez représentative :

" Ils dénoncent également "la démagogie perverse de certains médias qui encouragent ces pratiques indignes et manipulent les adolescents, amplifiant ainsi le climat de dénigrement systématique dont le corps enseignant est actuellement la cible". " (PARIS, 26 jan 1999).

             Cette analyse nous a permis de montrer que l'on retrouve dans le discours journalistique les thématiques empruntées au vocabulaire scientifique (Tableau 11) employé pour parler des causes de la violence. Les dépêches n'étant pas, par définition, les productions journalistiques les plus sensibles à une construction sociale de la réalité, nous pouvons, en revanche, nous attendre à ce que la référence à des thématiques scientifiques soit plus massive dans les articles de presse.

Analyse des articles.

L            a même analyse de contenu a été effectuée sur les articles de presse. Sur les 36 unités d'explications empruntées au discours scientifique, 23 types d'unités (63% des unités sont retrouvées) ont été identifiées dans les articles. Hormis le registre explicatif que nous avons qualifié d'hormono-génético-organique (absent des explications trouvées), on retrouve 6 des 7 catégories thématiques identifiées en lecture flottante dans les résumés d'articles scientifiques.

             Ce second type de production journalistique apparaît donc s'appuyer davantage sur les explications utilisées dans le domaine scientifique. Elles sont formées de 763 phrases.

             Le tableau 13 présente leur répartition dans les unités et dans les grandes catégories.

             On constate que la thématique explicative la plus massivement utilisée (69,7 % des occurences) dans les articles de presse est en relation avec le domaine socio-économique au sens large.

Les exemples les plus caractéristiques sont :

             Des analyses de la fonction de l'institution scolaire dans la société :

             L'école ne peut pas remplacer la " famille ". (Ne tirons pas sur l'école. La Croix. 8/04/1998, page 11).

" D'autre part, ce [l'école] fut longtemps un système malthusien ne fournissant pas à la vie économique et sociale les qualifications utiles à son développement. " (La fin de l'école-sanctuaire. Libération. 16/02/2000. page 5)

" Mais ce qu'on dit moins, c'est que l'organisation actuelle du système scolaire est probablement l'une des principales causes de la violence des élèves. " (Violence à l'école : la faute à qui ? L'Express, 12/02/1998, page 28)

             Mais il s'agit aussi d'analyses plus globales :

" La violence se nourrit de la pauvreté , du chômage et de l'exclusion. " (Collèges, violences dans le " sanctuaire ". La Croix. 16/02/1996, page 2)

" Si vous attendez que tout soit arrangé dans le monde, qu'il n'y ait plus de chômage, plus de pauvreté, pour essayer de faire la guerre à la violence quotidienne, alors vous êtes hors sujet." (Violence à l'école: Bayrou sur le grill.. Libération. 3/02/1997, page 15)

             Au delà de la pauvreté, il y a l'immigration :

" Le ministre de l'éducation nationale, François Bayrou, a visité jeudi " l'un des établissements les plus sensibles " de France : 65 % des jeunes y sont issus de l'immigration… " (L'école à l'épreuve de la violence. La Croix. 3/02/1996, page 2).

             La seconde thématique explicative dont nous avons retrouvé des unités observables dans les articles (12,8 % des occurrences) porte sur les relations intergroupes et le domaine culturel. Elle peut être illustrée notamment avec les citations suivantes :

" Qu'on l'appelle hooliganisme, culture mafieuse ou guerre de gangs, la violence semble avoir dépassé le seuil d'alerte dans de nombreux collèges des quartiers défavorisés européens, qui s'enfoncent dans le cercle vicieux des provocations-punitions. " (Violence à l'école. Arte, 19 h 30. Libération. 14/03/1997).

             En comparaison avec l'extrait de la dépêche du 8 janvier 1999 (Clichy-sous-Bois) traitant de la violence entre gangs que nous avons reproduit plus haut, la thématique descriptive des dépêches est ici reprise. Mais elle est largement interprétée et davantage imagée.

 

 
Tableau 13 : occurrences des unités thématiques explicatives dans les articles.

Thématique

Occ / thématique

Unité

Occ / unité

Socio-économique

532

Disfonctionnement des familles

246

Facteurs culturels, éthiques, migratoires

108

Politique

85

Cultures organisationnelles

53

Facteurs matériels (besoin : instrumentalité)

28

Pauvreté extrême

8

Réformes sociales et économiques

4

Groupal / culturel

98

Compétition entre individus ou groupes d'individus (Relations intergroupes)

59

Appartenance à des gangs

30

Différences de sexe.

6

Crise d'identité (ex : masculine)

2

Agression valorisée dans la mémoire collective des groupes (hooligans, voyous)

1

Psychologigue / émotionnel

71

Haine, Colère, Vengeance

49

Stress

14

Personnalité (manque d'estime de soi, impulsivité)

3

Traumatisme

2

Psychologique

2

Absence de notion morale

1

Substance

46

Drogues

43

Consommation d'alcool

3

Apprentissage

14

Diffusion d'images violentes par les médias

13

Influence des médias (donnent de l'importance à des actes isolés)

1

Instint

2

Comportements défensifs (ex : animaux qui protègent leur progéniture)

2

TOTAL

763

763

 " Les slogans sur le rôle intégrateur de l'école cachent mal le fait que l'organisation de la compétition scolaire fonctionne à l'exclusion pour beaucoup, et que les frottements des groupes sociaux s'intensifient. " (Fréquentée aujourd'hui par des publics très différents et vouée à la diversité de la vie, l'école républicaine doit accepter d'autres règles pour assurer sa mission. La fin de l'école-sanctuaire. Libération. 16/02/2000. page 5)

" De fait, la montée du sexisme à l'école a de quoi inquiéter l'Education nationale. " (L'école dangereuse pour les filles, L'Express, 3/05/2001, page 42)

             La troisième thématique explicative (9,3 % des occurrences) en termes d'importance concerne le domaine du psychologique et de l'émotionnel.

             Le processus de généralisation est manifeste. Dans la dépêche on parlait de colère, dans les articles, on va plus facilement parler de haine :

" Leur échec scolaire est vécu comme une sanction supplémentaire, et ils développent une solide haine de l'école ". (Les fractures de l'école. Le Monde. 02/09/1997. page 11)

"
On a envie d'agir et il suffit d'une situation de tension pour que l'énergie déborde De plus, le milieu scolaire, dans lequel on est jugé, en permanence et où l'on doit obtenir de bons résultats, est particulièrement stressant - Mais tous les adolescents ne passent pas à l'acte ". (Une psychologue analyse la violence scolaire. Le Figaro. 07/03/1997)

             On retrouve la violence d'expression, parfois présentée comme la conséquence d'un traumatisme :

" Plutôt que de chercher à l'extirper pour essayer de les transformer en enfants sages, il faut reconnaître que cette violence est constitutive de leur personnalité et essayer de l'orienter vers des objectifs plus constructifs ". (Collèges, lycées. La violence des adolescents sans repères. La Croix. 03/02/1996. page 10)

" L'élève avait été exclu car il refusait d'assister au cours de technologie "traumatisé par la gifle" ". (Une gifle au collège, le GIGN à Strasbourg. Libération. 19/06/1998. page 13).

" Il faut réactiver les cycles et les dispositifs de soutien que Lionel Jospin avait mis en place afin d'éviter le traumatisme d'un redoublement précoce, cette première étape de l'exclusion : après l'ostracisme social, la destitution intellectuelle. " (Ce que je veux par Claude Allègre. Le Monde. 06/02/1998. page 1)

             La thématique du stress est également approchée :

" La violence juvénile est ici surtout l'expression de l'état de tension psychologique dans lequel l'adolescent est soumis : ce n'est pas l'équivalent des conflits que les adultes rencontrent dans la société. " (La violence à l'école. La violence devient un style de vie. La Croix. 11/02/2000. page 23)

 

             Le dernier élément d'explication que nous avons retrouvé est celui de la violence des médias. Que ce soit un gouvernement de droite ou de gauche, que ce soit Alain Juppé ou Lionel Jospin à sa tête, l'explication de la violence par l'influence de la télévision est un passage obligé :

" Le Premier ministre, le 20 février, annonçait également sa volonté de prémunir "les jeunes des images de violence" à la télévision, dans les fictions comme dans les journaux. " (Violences à l'école: un plan demain. Libération. 13/03/1996. page 14).

" Lang a estimé que les pouvoirs publics ont le " devoir de s'attaquer " à la violence scolaire tout en fustigeant leur " démission " vis-à- vis de l'exaltation de la violence par " certains médias audiovisuels ". " (Lutter contre la violence à l'école. Le Monde. 6/03/2001. page 1)

" Est-ce qu'on aura un jour le courage de s'attaquer à ce déferlement de violence à la télévision, dans les jeux électroniques, au cinéma dont s'abreuvent bien sûr les enfants et les jeunes les plus fragiles, les moins soutenus par leur famille ? " (La violence à l'école; COURRIER. La Croix. 10/02/2000. page 21)

             Comme nous nous y attendions, l'emprunt aux thématiques scientifiques de l'étiologie de la violence est beaucoup plus riche dans les articles de presse que dans les dépêches. La construction sociale de la réalité est à l'œuvre. On voit à travers cette première analyse que les explications données au problème sont largement inspirées des explications proposées, testées et expérimentées dans le domaine de la recherche scientifique à propos de l'agression.

             Un champ est toutefois complètement absent. Il s'agit des thèses hormonales, organiques ou encore génétiques. Cette absence repose sur une certaine logique : la violence scolaire est une violence groupale ayant des raisons économiques et sociales. Elle peut évidemment être le fait d'individus isolés mais leurs conduites sont généralement expliquées par des facteurs qui leur sont extérieurs (la télévision, l'économie, etc.). Il semble alors inutile de faire appel à des causes plus individuelles.

Conclusion

             Dans ce chapitre, nous venons de montrer qu'il y avait de nombreuses similitudes entre le discours naïf sur la violence scolaire et celui des scientifiques sur la violence, en particulier lorsqu'il s'agit de trouver des explications à ce problème. Nous avons également souligné l'image particulièrement dramatisée de la violence scolaire donnée par les médias. De même nous avons montré comment les travaux des scientifiques s'étaient modifiés en réponse à l'existence sociale de ce phénomène de violence scolaire. La violence scolaire représente donc un objet social digne d'influencer les pratiques de groupes sociaux (les chercheurs) non directement concernés par le phénomène. Il y a donc de fortes probabilités pour que les pratiques et réactions d'acteurs plus directement concernés (les enseignants) soient, elles aussi, influencées par ces images de la violence.

             Les explications privilégiées par la presse, bien qu'identifiant assez précisément les " auteurs " et les " lieux" de la violence scolaire, ont largement tendance à privilégier des déterminismes externes. Ceci peut certes déculpabiliser les acteurs concernés mais cela pourrait également réduire leur sentiment de contrôle et s'accompagner d'une sorte d'impuissance apprise.

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