" Essayez de
dire votre expérience"
Samir : on se sent
comme les autres, à la vérité,
comme les autres classes de terminale.
Noël : ça
fait un rapprochement.
Samir : c'est bien
parce qu'il y a plus de différences.
Même si cette différence on la vivait
bien, on le savait depuis le début, depuis
le BEP. On savait qui si on était BEP c'est
qu'on n'était pas en seconde
générale. Ca fait qu'on se sent pas
inférieur, mais, voilà quoi, c'est
comme ça, on est en-dessous.
Noël : mais on
s'en sort toujours mieux qu'eux, quoiqu'on fasse,
parce que quoiqu'on fasse avec un BEP on peut
travailler, alors qu'avec un bac ils peuvent pas
travailler, voilà, donc l'un dans l'autre on
a gagné. Mais par rapport aux études
supérieures on est trop à la bourre.
Pour les études supérieures ils ont
des méthodes de travail que nous on n'a pas,
nous pendant quatre ans on n'a pas eu de devoir
(ça vous le coupez). Voilà quoi. Ils
ont des manières de réfléchir
qu'on n'a pas aussi, de synthèse
.
C'est peut-être pour ça qu'avec la
philo on rattrape un peu de retard, pour
réfléchir, on peut gagner du temps
là dessus. En plus ils sont prioritaires sur
la suite des études. Parce que normalement
en bac-pro après on devrait arrêter et
aller travailler, mais comme maintenant on peut
rattacher une classe de BTS
c'est pas trop
mal. Ouais, c'est bien venu tout de même la
philo.
Bertrand : je sais pas
si ça peut servir dans tous les
métiers.
Samir : si, ça
fait plaisir d'avoir vu la matière, le
problème c'est est-ce qu'on l'a vue comme si
on était une classe de terminale
générale, est-ce que vous avez fait
le même cours avec nous qu'avec une classe de
terminale. Parce qu'avec une classe de terminale
peut-être que vous n'auriez pas fait les
mêmes cours, de la même façon et
tout. Et peut-être que si vous aviez fait le
même cours pour nous ça aurait
été trop chiant, on aurait
craqué.
Noël : il y a
peut-être aussi un peu de fierté non
Madame aussi. Avant y avait jamais eu de classe de
bac-pro qui avait fait de la philo, alors nous on
s'amène, alors ils disent : " tu vas en
quoi, t'es en bac-pro ", " eh ! ouais, je fais de
la philo ", et bien ça fait drôle.
Alors maintenant ça fait une
égalité. Moi je suis un peu fier de
faire de la philo, franchement. Même si
ça casse le crâne.
Bertrand : moi je suis
tout à fait d'accord.
Ingrid : Ouais, je
suis d'accord.
Bertrand : Madame
reexpliquez l'excellence
(à propos de
l'idée de faire du bac-pro une "
filière d'excellence ")
Samir : ça veut
dire que tu sors avec un bon niveau.
Noël : c'est un
niveau de basket. Non, attendez, excellence c'est
comme si on sortait de classes pour aller à
Oxford, tout ça Madame, vous savez à
Saint-Cyr, pour devenir Président, ou
à l'ENA, pour faire HEC, ça fait un
peu ça excellence. La filière que
tout le monde devrait avoir, connaître et
tout.
Samir : Non,
excellence ça veut dire que tu sais usiner
super bien, tu sais
ouais ça veut dire
que t'es un gars qu'est trop fort, sur
machines-outils, tu comprends vite sur ça et
tout. Enfin il y a plein de trucs qu'on sait pas.
Il faudrait changer les cours, faire plus
de
Comment croyez-vous qu'on
considère le bac-pro si ce n'est pas comme
une filière d'excellence ?
Ingrid : comme une
classe garage.
Comment peut-on faire des
études pendant des années en se
disant qu'on est " en-dessous " ?
Fouad :
déjà en BEP on n'a pas de devoir, on
n'est moins bien que les autres, en bac-pro aussi
à part à la fin. Les profs aussi ils
nous rabaissent. Enfin non ils nous rabaissent
pas
Noël : Non, mais
ils nous font bien comprendre que ça va pas.
Ils nous disent : " avant, dans mon temps,
c'était pas comme ça ".
Fouad : leurs
élèves bossaient mieux.
Noël : si on
voulait pas qu'il y ait de différence entre
le bac pro et le général, il faudrait
déjà qu'on ait les mêmes cours
dans les mêmes matières. (
) mais
il y en a qui seraient trop largués, alors
on baisse le niveau de certains pour que les autres
ils y arrivent, alors qu'il faudrait vraiment faire
les mêmes cours, même si certains y
arrivent pas, avoir le vrai niveau.
Samir : tu peux pas
avoir les mêmes cours, il y en aura
toujours
sinon tu fais plus de bac pro, tu
fais une autre classe de terminale, et tu fais plus
d'atelier, tu fais une classe
générale et le bac pro ça sert
à rien. Si t'as le même programme que
le général, le bac pro ça sert
plus à rien.
Fouad : les techniques
ils ont les mêmes cours que le
général alors qu'ils ont une
spécialité, alors pourquoi nous on
n'aurait pas pareil.
Samir : t'as pas les
mêmes cours parce que t'es plus
faible.
Noël : et bien
justement. Si on veut plus avoir ce mot là,
filière d'excellence, et bien il faut juste
faire mettre les mêmes cours au même
niveau. Peut-être pas avoir le même
programme, mais au moins avoir le même cours,
la même base de cours, parce qu'on n'a pas la
même base. Faut dire on n'a pas même
temps (
) parce qu'on a plus d'heures
d'atelier.
Samir : tu peux pas
avoir le même niveau qu'eux. Non, t'es plus
faible, sinon qu'est-ce que tu fais en bac pro,
pourquoi t'es pas en général ?
(
) Vu qu'en troisième t'as pas le
niveau, ils te disent : " bon, ben voilà
maintenant tu vas en BEP ". C'est pas un choix,
c'est bon, voilà, parce que t'es plus faible
tu vas en BEP, après le BEP tu vas en bac
pro si t'arrives à réussir. Y en a
plein qui s'écroulent en BEP
déjà.
Noël : moi je
suis pas d'accord. En troisième, on sait pas
ce qu'on veut faire, on se fait trop monter la
tête (
). On veut pas aller en
général parce qu'on se dit : " je
vais peut-être galérer ". Y en a c'est
pas un échec scolaire, non pour certains
c'est vraiment pas un échec
scolaire.
Samir : on reparlera
de ça en BTS l'année prochaine, au
bout d'un trimestre tu diras si tu penses que t'es
fort ou pas.
Noël : Pour ceux
qui avaient un niveau correct, on a accumulé
les lacunes. Si on avait un programme à peu
près similaire, je dis pas à cent
pour cent, à deux trois points en moins,
c'est pas normal.
Est-ce que c'est parce
qu'on ne vous le propose pas ou bien est-ce parce
que vous avez renoncé ?
Noël : je pense
que c'est les deux. Y en a ils sortent de
troisième ils ont 18 ans, ils en ont marre,
ils ont envie d'arrêter l'école, alors
là c'est clair c'est de l'échec
scolaire. Je pense que même l'Education
Nationale y est pour quelque chose, parce que je
trouve pas ça
C'est pas le tout de
savoir travailler, il faut savoir lire. Y en a ils
savent travailler ils savent pas lire, non c'est
dangereux Madame, je rigole pas en vrai. Ouais
ça me fait rire, mais je veux dire c'est
plutôt un rire alarmant, voyez ce que je veux
dire. C'est pas le stress, mais il faut
réagir vite Madame, il faut appeler S.O.S.
Education Nationale. (
)
Samir : arrête,
on va pas dire que tu sais pas lire, que tu sais
pas écrire !
Noël : Y en a ils
savent pas lire couramment, ils font une faute
à chaque mot ! C'est pas vrai ? Ah ! vous
rigolez moins
Est-ce que c'est parce que
vous avez un niveau trop bas que vous ne faites pas
de philosophie ?
Noël : si j'ai
une phrase à dire : " faites de la philo en
bac pro ". C'est important, franchement c'est
important. Mais quand c'est expérimental, il
faut noter, parce que quand il y a pas de notes il
y a pas de motivation. Motivité,
motivation
motivité. (Noël aime
inventer des mots)
Samir : dans un sens
ils ont raison
(sous entendu on n'est pas
bon).
Ingrid : mais plus on
nous dit qu'on est nul, plus on devient
nul.
Fouad : on va
être des " cadavres ".
Samir : la philo
ça fait réfléchir.
Thierry : ça
éveille l'esprit.
Fouad : ça nous
donne un peu plus de confiance en nous.
Samir : dans la
profession ça peut nous aider quand on a un
problème. A la place de rester bloqué
on va plus réfléchir, essayer
de
la ça peut marcher.
Fouad : la philo
ça donne plus à
réfléchir dans le contact
humain.
Ingrid :
séparer les uns et les autres, c'est prendre
les autres pour des bêtes.
Fouad :
une
sorte d'inégalité sociale.
Noël : on dira
à nos gosses qu'on a fait de la philo, parce
que eux ils en feront sûrement parce que moi
je veux pas que mes gamins ils aillent en
BEP.
Il s'agit peut-être
à travers la revalorisation de la
filière de revaloriser la
personne
Noël : c'est
ça la dignité. Vous savez quand on
rabaisse tout le temps les gens (
), ça
casse l'effort de l'élève. Dans le
milieu professionnel on est abaissé quand
même, généralement ce qu'on
fait à l'école ce n'est pas ce qu'on
fait dans le milieu professionnel. On nous donne
une théorie et dans la pratique c'est pas
trop ça. Alors quand on arrive dans le
milieu professionnel c'est : " ben qu'est-ce que tu
fais ? Tu fais vraiment n'importe quoi, c'est
n'importe quoi ce qu'ils t'ont dit tes profs ".
Alors pour une fois qu'on écoute à
l'école, on se rend compte que non, c'est
pas ça du tout. Alors, vraiment, si on a un
peu de fierté c'est vite remballé
quoi.
(
) En faisant de la
philo on se dit qu'au moins ils s'occupent de
nous.
Pourquoi est-ce que vous
ne méprisez pas la philosophie
?
Samir : parce que
comme ça on est plus fort. On méprise
pas la philosophie parce qu'on se sent plus fort.
On se dit que puisqu'on fait de la philo on va
être comme les autres.
Fouad : on
méprise pas la philosophie parce que c'est
une chance quand même d'en faire. Il y en a
ils en font et ils en veulent pas, nous on nous en
propose et voilà c'est intéressant,
et on développe ça
Thierry : c'est
différent des autres cours, on n'y va pas
pareil, on parle, même si il y a toujours de
la rigueur, on n'est pas là pour se
promener. C'est une autre approche des
cours.
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