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Paroles d'élèves

La philosophie au lycée professionnel

 

             La parole aux élèves: Paroles d'un film diffusé en ouverture de l'université d'été, il a été tourné par Fabrice Millot (CDDP de la Marne), avec les élèves de terminale bac pro du lycée Oehmichen de Châlons en Champagne, dans la classe de V. Caruana, professeur de philosophie.

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             " Essayez de dire votre expérience"

Samir : on se sent comme les autres, à la vérité, comme les autres classes de terminale.

Noël : ça fait un rapprochement.

Samir : c'est bien parce qu'il y a plus de différences. Même si cette différence on la vivait bien, on le savait depuis le début, depuis le BEP. On savait qui si on était BEP c'est qu'on n'était pas en seconde générale. Ca fait qu'on se sent pas inférieur, mais, voilà quoi, c'est comme ça, on est en-dessous.

Noël : mais on s'en sort toujours mieux qu'eux, quoiqu'on fasse, parce que quoiqu'on fasse avec un BEP on peut travailler, alors qu'avec un bac ils peuvent pas travailler, voilà, donc l'un dans l'autre on a gagné. Mais par rapport aux études supérieures on est trop à la bourre. Pour les études supérieures ils ont des méthodes de travail que nous on n'a pas, nous pendant quatre ans on n'a pas eu de devoir (ça vous le coupez). Voilà quoi. Ils ont des manières de réfléchir qu'on n'a pas aussi, de synthèse… . C'est peut-être pour ça qu'avec la philo on rattrape un peu de retard, pour réfléchir, on peut gagner du temps là dessus. En plus ils sont prioritaires sur la suite des études. Parce que normalement en bac-pro après on devrait arrêter et aller travailler, mais comme maintenant on peut rattacher une classe de BTS…c'est pas trop mal. Ouais, c'est bien venu tout de même la philo.

Bertrand : je sais pas si ça peut servir dans tous les métiers.

Samir : si, ça fait plaisir d'avoir vu la matière, le problème c'est est-ce qu'on l'a vue comme si on était une classe de terminale générale, est-ce que vous avez fait le même cours avec nous qu'avec une classe de terminale. Parce qu'avec une classe de terminale peut-être que vous n'auriez pas fait les mêmes cours, de la même façon et tout. Et peut-être que si vous aviez fait le même cours pour nous ça aurait été trop chiant, on aurait craqué.

Noël : il y a peut-être aussi un peu de fierté non Madame aussi. Avant y avait jamais eu de classe de bac-pro qui avait fait de la philo, alors nous on s'amène, alors ils disent : " tu vas en quoi, t'es en bac-pro ", " eh ! ouais, je fais de la philo ", et bien ça fait drôle. Alors maintenant ça fait une égalité. Moi je suis un peu fier de faire de la philo, franchement. Même si ça casse le crâne.

Bertrand : moi je suis tout à fait d'accord.

Ingrid : Ouais, je suis d'accord.

Bertrand : Madame reexpliquez l'excellence…(à propos de l'idée de faire du bac-pro une " filière d'excellence ")

Samir : ça veut dire que tu sors avec un bon niveau.

Noël : c'est un niveau de basket. Non, attendez, excellence c'est comme si on sortait de classes pour aller à Oxford, tout ça Madame, vous savez à Saint-Cyr, pour devenir Président, ou à l'ENA, pour faire HEC, ça fait un peu ça excellence. La filière que tout le monde devrait avoir, connaître et tout.

Samir : Non, excellence ça veut dire que tu sais usiner super bien, tu sais… ouais ça veut dire que t'es un gars qu'est trop fort, sur machines-outils, tu comprends vite sur ça et tout. Enfin il y a plein de trucs qu'on sait pas. Il faudrait changer les cours, faire plus de…

Comment croyez-vous qu'on considère le bac-pro si ce n'est pas comme une filière d'excellence ?

Ingrid : comme une classe garage.

Comment peut-on faire des études pendant des années en se disant qu'on est " en-dessous " ?

Fouad : déjà en BEP on n'a pas de devoir, on n'est moins bien que les autres, en bac-pro aussi à part à la fin. Les profs aussi ils nous rabaissent. Enfin non ils nous rabaissent pas…

Noël : Non, mais ils nous font bien comprendre que ça va pas. Ils nous disent : " avant, dans mon temps, c'était pas comme ça ".

Fouad : leurs élèves bossaient mieux.

Noël : si on voulait pas qu'il y ait de différence entre le bac pro et le général, il faudrait déjà qu'on ait les mêmes cours dans les mêmes matières. (…) mais il y en a qui seraient trop largués, alors on baisse le niveau de certains pour que les autres ils y arrivent, alors qu'il faudrait vraiment faire les mêmes cours, même si certains y arrivent pas, avoir le vrai niveau.

Samir : tu peux pas avoir les mêmes cours, il y en aura toujours… sinon tu fais plus de bac pro, tu fais une autre classe de terminale, et tu fais plus d'atelier, tu fais une classe générale et le bac pro ça sert à rien. Si t'as le même programme que le général, le bac pro ça sert plus à rien.

Fouad : les techniques ils ont les mêmes cours que le général alors qu'ils ont une spécialité, alors pourquoi nous on n'aurait pas pareil.

Samir : t'as pas les mêmes cours parce que t'es plus faible.

Noël : et bien justement. Si on veut plus avoir ce mot là, filière d'excellence, et bien il faut juste faire mettre les mêmes cours au même niveau. Peut-être pas avoir le même programme, mais au moins avoir le même cours, la même base de cours, parce qu'on n'a pas la même base. Faut dire on n'a pas même temps (…) parce qu'on a plus d'heures d'atelier.

Samir : tu peux pas avoir le même niveau qu'eux. Non, t'es plus faible, sinon qu'est-ce que tu fais en bac pro, pourquoi t'es pas en général ? (…) Vu qu'en troisième t'as pas le niveau, ils te disent : " bon, ben voilà maintenant tu vas en BEP ". C'est pas un choix, c'est bon, voilà, parce que t'es plus faible tu vas en BEP, après le BEP tu vas en bac pro si t'arrives à réussir. Y en a plein qui s'écroulent en BEP déjà.

Noël : moi je suis pas d'accord. En troisième, on sait pas ce qu'on veut faire, on se fait trop monter la tête (…). On veut pas aller en général parce qu'on se dit : " je vais peut-être galérer ". Y en a c'est pas un échec scolaire, non pour certains c'est vraiment pas un échec scolaire.

Samir : on reparlera de ça en BTS l'année prochaine, au bout d'un trimestre tu diras si tu penses que t'es fort ou pas.

Noël : Pour ceux qui avaient un niveau correct, on a accumulé les lacunes. Si on avait un programme à peu près similaire, je dis pas à cent pour cent, à deux trois points en moins, c'est pas normal.

Est-ce que c'est parce qu'on ne vous le propose pas ou bien est-ce parce que vous avez renoncé ?

Noël : je pense que c'est les deux. Y en a ils sortent de troisième ils ont 18 ans, ils en ont marre, ils ont envie d'arrêter l'école, alors là c'est clair c'est de l'échec scolaire. Je pense que même l'Education Nationale y est pour quelque chose, parce que je trouve pas ça… C'est pas le tout de savoir travailler, il faut savoir lire. Y en a ils savent travailler ils savent pas lire, non c'est dangereux Madame, je rigole pas en vrai. Ouais ça me fait rire, mais je veux dire c'est plutôt un rire alarmant, voyez ce que je veux dire. C'est pas le stress, mais il faut réagir vite Madame, il faut appeler S.O.S. Education Nationale. (…)

Samir : arrête, on va pas dire que tu sais pas lire, que tu sais pas écrire !

Noël : Y en a ils savent pas lire couramment, ils font une faute à chaque mot ! C'est pas vrai ? Ah ! vous rigolez moins…

Est-ce que c'est parce que vous avez un niveau trop bas que vous ne faites pas de philosophie ?

Noël : si j'ai une phrase à dire : " faites de la philo en bac pro ". C'est important, franchement c'est important. Mais quand c'est expérimental, il faut noter, parce que quand il y a pas de notes il y a pas de motivation. Motivité, motivation…motivité. (Noël aime inventer des mots)

Samir : dans un sens ils ont raison…(sous entendu on n'est pas bon).

Ingrid : mais plus on nous dit qu'on est nul, plus on devient nul.

Fouad : on va être des " cadavres ".

Samir : la philo ça fait réfléchir.

Thierry : ça éveille l'esprit.

Fouad : ça nous donne un peu plus de confiance en nous.

Samir : dans la profession ça peut nous aider quand on a un problème. A la place de rester bloqué on va plus réfléchir, essayer de…la ça peut marcher.

Fouad : la philo ça donne plus à réfléchir dans le contact humain.

Ingrid : séparer les uns et les autres, c'est prendre les autres pour des bêtes.

Fouad : …une sorte d'inégalité sociale.

Noël : on dira à nos gosses qu'on a fait de la philo, parce que eux ils en feront sûrement parce que moi je veux pas que mes gamins ils aillent en BEP.

Il s'agit peut-être à travers la revalorisation de la filière de revaloriser la personne…

Noël : c'est ça la dignité. Vous savez quand on rabaisse tout le temps les gens (…), ça casse l'effort de l'élève. Dans le milieu professionnel on est abaissé quand même, généralement ce qu'on fait à l'école ce n'est pas ce qu'on fait dans le milieu professionnel. On nous donne une théorie et dans la pratique c'est pas trop ça. Alors quand on arrive dans le milieu professionnel c'est : " ben qu'est-ce que tu fais ? Tu fais vraiment n'importe quoi, c'est n'importe quoi ce qu'ils t'ont dit tes profs ". Alors pour une fois qu'on écoute à l'école, on se rend compte que non, c'est pas ça du tout. Alors, vraiment, si on a un peu de fierté c'est vite remballé quoi.

(…) En faisant de la philo on se dit qu'au moins ils s'occupent de nous.

Pourquoi est-ce que vous ne méprisez pas la philosophie ?

Samir : parce que comme ça on est plus fort. On méprise pas la philosophie parce qu'on se sent plus fort. On se dit que puisqu'on fait de la philo on va être comme les autres.

Fouad : on méprise pas la philosophie parce que c'est une chance quand même d'en faire. Il y en a ils en font et ils en veulent pas, nous on nous en propose et voilà c'est intéressant, et on développe ça…

Thierry : c'est différent des autres cours, on n'y va pas pareil, on parle, même si il y a toujours de la rigueur, on n'est pas là pour se promener. C'est une autre approche des cours.

Noël : on aime bien.

Ingrid : au départ j'étais pas trop d'accord de faire de la philo, mais on apprend à aimer.

Samir : la philo c'est bien, mais à l'écrit, pas à l'oral pour les épreuves.

Fouad : non ! t'es ouf toi.

Noël : dès l'année prochaine il faut qu'il y ait de la philo en bac-pro. Parce que comme ça y aura déjà un échelon de gravi entre le professionnel et le général et le technique.

Samir : il faudrait commencer à faire de la philo en première année de bac pro.

Fouad : ensuite poursuivre en deuxième année pour finir par une épreuve…

Samir : ou une épreuve facultative.

Noël : non justement il faut pas que ce soit facultatif si on veut l'égalité. "

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