Les
devoirs à la maison.
Je ne m'étendrais pas sur leur
inefficacité, leur inutilité, leur
nocivité quand ils prolongent une
journée scolaire réclamant la
disponibilité et l'attention continue des
enfants ou adolescents. Ni sur le fait qu'en
eux-mêmes ils révèlent
l'incapacité de l'école d'effectuer
sa mission dans le temps qui lui est imparti. C'est
en termes de pouvoirs que je vais les situer.
Pendant le temps scolaire, le pouvoir de
l'école et des enseignants est absolu et il
est reconnu comme tel. Mais il cesse dès la
sortie de l'école où l'enfant cesse
d'être un "élève". Normalement,
le pouvoir parental reprend ses droits et les
responsabilités qui vont avec et qui sont
celles des choix, à partir de cet instant.
Les devoirs obligatoires à la maison,
sanctionnés à l'école d'une
façon ou d'une autre s'ils ne sont pas
faits, c'est l'empiètement du pouvoir de
l'école sur le pouvoir parental. C'est
l'immixtion de l'école dans la sphère
familiale, la prolongation du "statut
d'élève" au détriment de la
"nature d'enfant." Il faut qu'il vive encore un
temps "d'élève" où il n'a pas
d'initiative possible. C'est un temps où la
relation parent/enfant est amputée par celle
où les deux doivent être encore
élève pour l'un, parent
d'élève pour l'autre. Si l'on peut
admettre que l'école suggère, propose
des activités favorisant à la maison
la poursuite de la construction des langages
entreprise à l'école, le choix de
leur exécution ne regarde moralement et
juridiquement que les parents. Le rendre
obligatoire avec les mesures de rétorsions
qui s'en suivent dans l'espace scolaire
relève de l'abus de pouvoir ou du
harcèlement. Ceci jusqu'à la
majorité de l'enfant ! A ma connaissance,
l'aspect juridique de cette affaire des devoirs n'a
encore jamais été porté devant
un tribunal. Mais elle n'est pas que juridique,
elle relève tout autant de la santé
physiologique, psychique donc affective et
cognitive de l'enfant.
Le rôle
protecteur des parents
Il faut aussi noter que l'impossibilité
institutionnelle pour les parents de porter un
regard sur l'espace scolaire les incitent à
abandonner le rôle protecteur qu'ils
devraient avoir. La plupart hésitent
à intervenir quand il leur semble, et
même quand ils sont certains, que tel
comportement, telle action des enseignants a des
conséquences néfastes. La raison
toujours invoquée dans les innombrables
témoignages recueillis au sein du
laboratoire des crepsc, c'est qu'ainsi ils
risqueraient d'enclencher des mesures de
rétorsions encore plus néfastes. Ce
qui est parfois le cas.
Mais c'est alors la relation affective parentale
qui risque de s'effilocher. Implicitement le
parent, ou prend parti contre son enfant ce qui
affectivement n'est pas supportable, ou le nie dans
ce qu'il ressent, ou ne porte pas assistance
à personne en danger.
Comme solution, il n'a plus que, soit de le changer
d'école ce qui s'avère la plupart du
temps impossible, soit de le retirer du
système scolaire. La pratique du
homescooling résulte souvent de cette
situation de fait, mais là aussi cela
demande des conditions sociales, culturelles et
environnementales peu courantes.
Qu'as-tu fais
aujourd'hui à l'école
?
A remarquer aussi que l'enfant hésite
à rapporter ce qu'il fait ou ce qui se passe
à l'école. Parfois prudemment !
Parfois parce qu'il veut vite l'oublier ! Parfois
parce qu'il n'y a trouvé aucun
intérêt ! Qu'as-tu fais aujourd'hui
à l'école ? - Rien ! Je ne me
rappelle plus ! Comme d'habitude ! Comme s'il y
avait un trou dans sa vie. Mais cela constitue
aussi un trou dans la relation parentale, celle-ci
ne se réalisant que dans la connaissance
affective de l'histoire de celui que le parent
à charge d'aider. ....
Pour que le sevrage que constitue
l'entrée à l'école ne
soit pas un traumatisme pour l'enfant comme
pour le parent, pour que l'enfant se retrouve
sécure dans d'autres
dépendances et qu'il puisse faire dans
cet espace d'autres conquêtes, s'armer
d'autres outils qui peu à peu lui
permettront de s'insérer dans la
société et d'y être
autonome, c'est-à-dire adulte, il
faudra que le système scolaire n'ait
plus peur des parents, que les parents
n'aient plus peur du système scolaire
et n'aient plus peur d'y participer,
résolument en tant que parent mais
plus seulement en tant que parent
d'élève.
Remises en
questions nécessaires
Ce qui suppose un certain nombre de
reconsidérations, de remises en questions,
sur les rôles de chacun. Sur l'acte
éducatif lui-même. On doit toujours
garder en mémoire comment l'enfant a
effectué son premier apprentissage, celui de
la parole. Et garder en mémoire que tous les
enfants, sauf rares cas pathologiques, apprennent
tous à parler, quelle que soit la famille.
Il n'y a pas d'échecs !
Il y a donc bien une grande difficulté
à être parent d'élève.
Cette difficulté ne tient pas dans ce qui
serait l'incapacité de quelques-uns qu'il
suffirait de ré-éduquer, mais
à un système éducatif de type
industriel qui ne peut tenir compte de ce qui est
l'évolution normale des êtres vivants,
en particulier quand ces êtres vivant font
partie d'une espèce sociale. Il ne peut le
faire malgré la bonne volonté de ceux
qui y travaillent. Cela ne posait pas de
problèmes quand l'école obligatoire
s'adressait à une population
considérée comme en grande partie
illettrée, plus ou moins inculte, qui se
préoccupait moins de l'école parce
que celle-ci occupait moins de temps et parce que
de toutes façons l'avenir de ses enfants
étaient plus ou moins tracé (paysan,
ouvrier, artisan, commerçant
comme
leurs parents).
Les temps ont changés. L'école, c'est
aujourd'hui la plus grande partie du temps de la
construction de l'enfant, de 2 à 18 ans au
moins, de 8 heures du matin à parfois 18
heures le soir. Personne ne peut plus
prétendre qu'elle assure un avenir à
ses élèves. Alors, que doit-elle
assurer ? Et de plus, on ne peut plus
empêcher les parents de penser !
Si nous devons bien nous pencher sur la
difficulté d'être parent d'un enfant
allant à l'école, cela ne peut pas
concerner seulement les parents. Dans ce qui est
bien une problématique et non un
problème, il y a d'abord l'enfant. L'enfant
devant se construire physiologiquement,
psychologiquement, cognitivement, socialement. Ceci
dans une continuité affective qui le rende
sécure.
C'est lui qui est au centre, autour il y a des
protagonistes et l'institution. Il va y avoir une
harmonie à créer entre ces trois
pôles. Il va falloir redéfinir aussi
bien pour les uns et les autres quelles sont les
finalités de l'espace institutionnel qu'est
l'école et le redéfinir
essentiellement par rapport à l'enfant.
En dehors de toute idéologie, ce qui est
incontournable c'est que l'espace scolaire fait
partie de la construction de l'enfant en adulte
autonome et en citoyen. Ce qui est incontournable
c'est que cette construction s'effectue dans une
continuité, dans l'unicité de
l'enfant et non pas dans le morcellement d'espaces
cloisonnés et dans des ruptures affectives.
Ce qui demande une reconsidération des
rôles et des représentations de
chacun, y compris de l'institution, une
reconsidération de la relation qui
leur permet d'oeuvrer de façon
concomitante. Autrement dit, le
problème des parents
d'élèves, c'est tout autant
celui des enseignants, c'est tout autant
celui de l'école.
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