La
reconversion d'une travailleuse handicapée
ou un parcours du combattant en mille étapes
:
Année
2003 :
La charmante mère d'une de mes
élèves me déclare, furieuse :
" Ca ne peut plus durer, quand on vous pose une
question, ou vous ne répondez pas, ou vous
répondez à côté.
L'ancien proviseur serait encore là, le
problème aurait été vite
réglé ! "
????
Réglé comment ? Me dis-je
intérieurement.
Introspection
: certes, j'entends de plus en plus mal,
vraiment trop mal ?
A l'époque, j'enseigne dans des
préfabriqués style bidon : horreur.
Les sons rebondissent et s'échappent de tous
côtés. J'ai beau protester, on me
répond qu'il faut bien que quelqu'un s'y
colle, donc moi, sic.
S'ensuit ma
première demande de poste de
réadaptation. Accordée.
De septembre
2004 à juillet 2006 :
Mi-temps correction de copies pour le CNED
et mi-temps au lycée. Je m'aperçois
tout à coup que je fatiguais vraiment,
ça va beaucoup mieux.
Lors de la commission pour la
deuxième année de réadaptation
on me reproche : " Quel est votre projet de
reconversion, quelles démarches avez-vous
entamé ? " OK, j'ai compris, à moi
d'assumer.
Mais ça n'est pas facile, tout d'un
coup, aprés 28 ans de
carrière.
Fin de
deuxième année,
On me déclare ; " Bon, on va vous
trouver une formation en informatique. " OK. Je
suis prête à assumer. Mais je ne vois
rien venir. Je demande la reconnaissance de
travailleuse handicapée. Accordée. Me
voilà cataloguée.
L'année
suivante,
Gros problèmes de santé.
Santé défaillante + handicap +
élèves nombreux = mélange
détonnant. Je manque de craquer. Je contacte
la responsable des ressources humaines qui promet
de s'occuper de mon cas. " Je vous aurai
peut-être trouvé quelque chose avant
la fin de l'année scolaire, me
déclare-t-elle ". Je reprends
espoir.
Dans le même temps, pas de chance, on
m'informe que le type de poste que j'occupe sera
désormais réservé aux cas
graves, donc pas moi. Merci.
On me propose en
lieu et place un allègement de service d'un
tiers temps, bon à prendre mais il me reste
deux tiers de temps devant les élèves
: impossible, je vais trop mal, je demande en plus
un temps partiel. Salaire restreint. Ca ne va pas
être facile.
Il est temps de me prendre en mains : je
dégotte une formation de longue durée
avec le CNAM : " webmestre, conception de sites et
administration de serveurs web. "
Et côté ressources humaines,
qu'est-ce qu'on me propose ? " C'est quoi, votre
formation ? C'est bien, vous allez voir ce que
ça va donner et ensuite, vous pourriez
demander un congé de formation, je vous
appuierai. "
Je travaille comme une damnée :
j'obtiens mes quatre UE (unités
d'enseignement) dans la foulée. Un monde
nouveau s'ouvre à moi. Je demande un
congé de formation de six mois pour pouvoir
finir et surtout pour pouvoir faire le stage de
trois mois obligatoire.
Demande non appuyée, on me refuse mon
congé, heureusement il y a des
désistements. Ouf !
Parallèlement on m'allège mon
allègement de service. Sûr, pour ce
que j'en faisais !
Année
2008-2009,
Changement de programme pour les demandes :
poste aménagé (les quelques heures en
moins, toujours moins) ou poste adapté
(exploration de nouveaux emplois). Je demande les
deux, espérant bien qu'étant
donnés mes résultats aux examens on
m'accordera le second. Changer d'emploi, changer
de vie, je n'aspire plus qu'à
cela.
Je valide mes deux dernières UE,
j'embraye aussitôt sur mon stage.
Côté ressources humaines on me
déclare : " Eh bien maintenant il va
falloir vous bouger, chercher un emploi ".
Quoi ? Parce que jusqu'ici je n'ai rien fait
? J'ai sûrement mal entendu. Normal, je suis
sourde.
Deux ans à travailler sans
relâche, sans week end, sans vacances. Je
n'en peux plus, je suis épuisée, je
manque de craquer à deux reprises mais je me
ressaisis, je dois terminer. Je m'accroche avec
rage.
Entre temps on m'informe que ma demande de
poste adapté est refusée. Je ne
comprends pas, je n'y comprends rien, c'est
très dur.
Je dois reprends mon service comme si rien,
jamais, ne s'était passé. C'est
impossible, inhumain. Je tiens, je chancelle, je
craque.
Je trouve quand même l'énergie
de multiplier les recherches, les explorations, les
entretiens, les demandes, les candidatures, les
inscriptions, les mails, les lettres, les dossiers.
C'est un travail de Titan. D'autant qu'il faut
souvent revenir à la charge pour obtenir une
réponse.
Alors : " dispositif d'accompagnement de
la personne handicapée dans son projet de
reconversion " ?
Finalement, l'adage a raison : " il vaut
mieux être seule que mal
accompagnée ".
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