Le monde moderne
et la question juive Edgar
Morin Editions du Seuil. ISBN:
2-02-090745-3 (2006) 12€ Dernière de
couverture "La condition
juive dans l'histoire moderne exige d'être
traitée dans toute sa complexité,
donc sa difficulté. Je me suis attelé
à cette tâche, autant pour concevoir
les temps modernes dont on ne peut abstraire le
ferment juif, que pour concevoir la question juive
dont on ne peut abstraire la question des temps
modernes. Bien que je veuille avant tout comprendre
et faire comprendre, je sais que la
compréhension est souvent mal comprise, et
je ne peut affronter ce travail sans crainte ni
tremblement. La notion de juif
était claire quand elle indiquait une
identité à la fois de nation, de
peuple, de religion. Dès lors que les juifs
ont participé à la culture et
à la citoyenneté des gentils, la
disjonction entre juif et gentil a masqué la
jonction accomplie entre ces deux termes devenus
complémentaires mais pouvant demeurer
antagonistes selon les développements du
moderne antisémitisme (racial) qui
succède au vieil antijudaïsme
(religieux). Au terme de cet
essai, il a fallu considérer la
tragédie provoquée par le nazisme,
d'où est né l'Etat d'Israël, et
où la notion de juif prend une nouvelle
signification. Par malheur, l'implantation
d'Israël en terre islamique a
créé une nouvelle tragédie
d'ampleur planétaire." Edgart
Morin Table des
matières Introduction 1. Judaïsme et
christianisme. L'antijudaïsme 2. Les osmoses
culturelles. De l'exception
ibérique à la
Renaissance 3. Du marranisme au
post-marranisme 4. La participation
à l'essor économique 5.
L'émancipation: les
judéo-gentils 6. Les anciens
judéo-gentils 7. Le nouveau
messianisme Première
conclusion 1.
L'antisémitisme 2. La diaspora
avant 1933 3. L'hybridation
culturelle 4. La
séparation dans l'insertion III. La
tragédie 1. Du
sionisme à Israël via le
nazisme 2. Les deux
démarcations Conclusion -
Bibliographie Repères
chronologiques APPENDICE JUDÉO-ISRAÉLO-PALESTINIEN Juif: adjectif ou
substantif Le double regard :
Israël-Palestine Israël-Palestine:
le simple et le complexe Antisémitisme,
antijudaïsme,
anti-israélisme Un passage <<Il y a dans
la situation israélo-palestinienne une
simplicité et une complexité qui ne
doivent pas s'occulter l'une l'autre. Le
simple La
simplicité de la situation est dans la
formidable inégalité présente.
D'un côté des occupés, de
l'autre des occupants. D'un côté des
enfants et adolescents qui lancent des pierres, des
policiers ne disposant que d'armes
légères, de l'autre des soldats qui
tirent à balles réelles sur des
civils, des chars, des roquettes, des
hélicoptères de combat. D'un
côté, un harcèlement de
guérilla sur des colonies nu des
véhicules en territoire nalestinien. de
l'autre une répression qui ghettoïse
les populations, transforme leurs territoires en
camps de concentration temporaires, asphyxie leur
économie, détruit habitations et
cultures. D'un côté quatre cents morts
dont treize Arabes israéliens et plus de
douze mille blessés dont plus de quatre
mille enfants et adolescents, de l'autre
quarante-trois morts dont les victimes d'attentats
et une centaine de blessés. L'argument que les
occupés n'auraient pas dû se
révolter n'aurait de sens que si leur
situation n'avait été
révoltante. L'argument que la révolte
sape la paix n'aurait de sens que si les
Israéliens avaient accepté un
État palestinien viable libéré
de colonies armées. En fait la
révolte n'est pas née absurdement,
puisque, tout au long des négociations, il y
a eu continuation d'implantations de colonies en
Cisjordanie, non-respect des engagements, et
seulement une offre de paix ladre dite
généreuse, fondée sur la
transformation en bantoustans des territoires
fragmentés, l'absence d'armée
palestinienne, le contrôle de ses
frontières. Mais sur la
sécurité, tout n'est pas si
simple. Le
complexe En effet, si les
États arabes sont présentement
désunis, si l'Amérique
toute-puissante protège Israël, cette
situation n'est pas éternelle. Le monde
arabe est démographiquement énorme
par rapport au petit Israël; sa puissance
technique et militaire s'accroîtra avec le
temps, sa désunion n'est pas
irréversible, les États-Unis peuvent
perdre leur hégémonie
planétaire, et l'avenir d'Israël n'est
pas plus assuré que ne le fut celui du
royaume chrétien de Jérusalem, qui
garda la ville moins d'un siècle. Certes,
une paix honorable pour les deux parties
diminuerait l'insécurité
réelle d'Israël, accroîtrait ses
chances d'insertion pacifique dans le Moyen-Orient.
Mais cette paix serait un pari, le seul accroissant
les chances futures d'Israël, non une garantie
de sécurité. À
l'insécurité du futur se lie celle du
passé récent. Si 1948 est vu
justement par les Palestiniens comme leur
catastrophe, il rappelle à Israël
l'intention palestinienne longtemps affirmée
de le détruire, ainsi que la menace arabe
à chaque fois écartée par une
guerre. À cela se joint un autre sentiment
d'insécurité, qui vient de
l'expérience séculaire où les
juifs n'ont jamais pu acquérir la certitude
d'une insertion tranquille dans le monde des
gentils. Les « mort aux juifs »
ressemblent certes aux « mort aux Arabes
», mais ils raniment un passé qui
comporte Auschwitz, ils réveillent la
mémoire encore récente d'une menace
de mort sur Israël, et ils éveillent un
futur d'holocauste. Ainsi, les
insécurités qui viennent du
passé et celles qu'annonce le futur se
raccordent. Elles se réveillent
âprement à chaque attentat. Il a suffi
des quelques attentats déclenchés par
des groupes minoritaires palestiniens pour qu'une
partie de l'électorat bascule et porte
Netanyahou au pouvoir; il a fallu la nouvelle
Intifada pour que l'électorat pacifique
d'Israël soit troublé et
démoralisé. Ainsi, c'est
l'insécurité du passé et celle
du futur qui se réveillent et marquent le
présent. Tout ce qui ravive ce sentiment
d'insécurité brise les chances de
l'issue décolonisatrice et, dans ce
contexte, la politique de force semble une juste
réponse à la menace. Cette politique,
qui associe en elle un nationalisme intégral
et un judaïsme intégriste, a pour but
l'annexion de la «Judée-Samarie »,
nom biblique de la Cisjordanie, au pire la
bantoustandisation de territoires palestiniens
morcelés.>> p. 247 Commentaire Un livre indispensable pour
comprendre la tragédie du moyen Orient sans
simplifier les positions des uns et des
autres.