Vivre avec les
mathématiques JEAN-MICHEL
SALANSKIS Editions du Seuil
ISBN:
978-2-02-098203-0
(2009) 17 € Dernière de
couverture Oui, on peut vivre
avec les mathématiques, contrairement au
fort préjugé qui oppose les
mathématiques à la vie et plus
généralement à la condition
humaine, ce qui conduit souvent à
considérer le mathématicien comme un
animal d'une autre espèce ou une machine, au
mieux comme un mutant. Ce livre voudrait montrer
que les mathématiques sont au contraire une
ressource parmi d'autres pour «être
humain». Sont ici
campées plusieurs figures de vie avec les
mathématiques - successivement:
l'apprentissage scolaire, la recherche,
l'enseignement des mathématiques et enfin
leur rapport avec la pensée en
général, tout particulièrement
avec la philosophie. La force et
l'originalité de ce bref essai viennent de
l'engagement personnel intense qu'y manifeste
l'auteur. C'est à partir de son
expérience vécue de
mathématicien, réfléchie par
le philosophe qu'il est devenu, que se
déroule, sans formalisme
spécialisé et sans jargon
théorique, cette méditation profonde
et parfois émouvante. Jean-Michel
Salanskis est mathématicien et
philosophe des sciences. Il est professeur à
l'université Paris-Ouest Nanterre-La
Défense. Table des
matières Les
mathématiques et nous Apprendre
Épisodes
originaires Le rôle du
matheux Les
mathématiques « modernes »
Classes
préparatoires Étudier,
chercher ? Le modèle
universitaire L'état de
grâce Vers le labyrinthe
Le labyrinthe
Enseigner
Déchéance
Réparation?
Abîmes
pédagogiques Éthique et
mathématique Penser
Le mode logicien
Apprendre les
mathématiques « en philosophe
» Déblocage de
la physique Mélancolie
Vivre avec la
culture L'obstacle
Résolution
de problèmes philosophie des
mathématiques Les
mathématiques et la culture Un passage <<Le
labyrinthe De cela, je ne peux
témoigner, pour ma part, que sur le versant
de l'échec, si l'on veut : mon histoire est
celle de quelqu'un dont les amorces
d'activité de recherche n'ont jamais «
pris ». Mais la tournure précise de cet
impouvoir que j'ai connu à entrer dans la
recherche me semble significative, et
mériter que je la relate : parce qu'il
s'agit à nouveau d'une façon de
« vivre avec les mathématiques »
(fût-elle en partie négative). Et,
pour ce que je sais par ailleurs, à travers
le témoignage des autres, elle enseigne
quelque chose de l'autre versant, celui d'une vie
de recherche réussie comme telle : non pas
nécessairement une vie qui produit une
recherche de grande valeur, mais une vie qui
contribue indiscutablement au fleuve de la
recherche mondiale (sans doute cela veut-il dire
forcément, reconnaissons-le, que le
mathématicien en cause aura apporté
des résultats d'un certain prix, même
limité). La
difficulté spécifique, en
l'occurrence, est simple-ment la transition entre
une phase où les mathématiques sont
toujours reçues comme un mets
préparé par un chef de grande
réputation, dans une disposition charmante
et avec des saveurs exquises, et une phase
où l'on est projeté dans la cuisine
avec des ingrédients et l'obligation de
réussir un plat. Tout au long des
mathématiques scolaires, il ne s'agit que de
reconnaître comme valides et
intéressants des discours
mathématiques déjà construits.
Au maximum, on doit résoudre des exercices
ou des problèmes, mais cette situation est
encore différente de celle de la recherche :
le but la chose à établir,
à démontrer est donné.
Tout ce qui est à faire, c'est construire le
chemin déductif jusqu'à un tel but.
Ce qui est déjà,
éventuellement, peu commode. Mais,
même si l'on enrage de buter sur une
difficulté de cet ordre pendant tout un
week-end, on ne fait en l'espèce aucunement
l'expérience d'un
égarement. En revanche,
lorsqu'on se lance dans la recherche, on rencontre
immédiatement une sorte d'« abîme
», qui est l'indétermination absolue de
ce qu'il y aurait à faire.
Éduqué par l'expérience
antérieure des traités ou des
examens, on osera demander à son directeur
de recherche s'il ne pourrait pas nous donner un
« problème ouvert ». Claude
Chevalley, à qui j'avais fait une telle
demande il y a bien longtemps, me répondit
en substance que, s'il en connaissait un, il
s'attellerait à la tâche de le
résoudre plutôt que de me le donner.
Il s'agis-sait d'une boutade, destinée
à me faire prendre conscience de ma
responsabilité : je devais comprendre que
c'était en principe à moi, en tant
que chercheur, de désigner un objectif
à atteindre et de chercher à
l'atteindre.>> p.68 Commentaire Un parcours
initiatique