La
société du malaise Alain
Ehrenberg Editions Odile
Jacob
ISBN:
978-2-7381-2238-4 (2010) 23,90
€ Dernière de
couverture L'émancipation
des moeurs, les transformations de l'entreprise et
celles du capitalisme semblent affaiblir les liens
sociaux ; l'individu doit de plus en plus compter
sur sa « personnalité ». Il
s'ensuit de nouvelles souffrances psychiques qui
seraient liées à la difficulté
à atteindre les idéaux qui nous sont
fixés. Cette vision
commune possède un défaut majeur :
elle est franco-française. Comment rendre
compte de la singularité française ?
Et que signifie l'idée récente que la
société crée des souffrances
psychiques ? Croisant l'histoire
de la psychanalyse et celle de l'individualisme,
Alain Ehrenberg compare la façon dont les
États-Unis et la France conçoivent
les relations entre malheur personnel et mal
commun, offrant ainsi une image plus claire et plus
nuancée des inquiétudes logées
dans le malaise français. Alain Ehrenberg
est l'auteur de trois livres sur
l'individualisme, Le Culte de la performance en
1991, L'Individu incertain en 1995 et La Fatigue
d'être soi en 1998. Sociologue, directeur de
recherche au CNRS, après avoir
créé en 1994 un groupement de
recherches sur les drogues et les
médicaments psychotropes, il a fondé
en 2001 le Cesames (Centre de re-cherche
psychotropes, santé mentale,
société), CNRS, Inserm,
université Paris-Descartes. Table des
matières INTRODUCTION Le tournant
personnel de l'individualisme :malaise dans la
civilisation ou changement de l'esprit des
institutions ? L'autonomie
et la subjectivité : sociologie
individualiste et sociologie de
l'individualisme Domaine
d'enquête : les pathologies de
l'idéal Démarche :
la manière américaine et la
manière française de nouer
afflictions individuelles et relations sociales
troublées Les sujets qui
fâchent : problèmes de
vérités et problèmes de
critères L'ESPRIT
AMÉRICAIN DE LA
PERSONNALITÉ CHAPITRE 1
L'inquiète confiance du self : de
l'individualisme moral au caractère
américain Puritanisme,
libéralisme, romantisme :la triple fondation
du self américain Puritanisme : la
guerre civile au sein du self - Libéralisme
: le credo politique du self-government -
Romantisme : la confiance en soi est une foi en
l'Amérique- La psychologie comme
méthode démocratique. La première
crise de l'individualisme américain :
personnalité, psychologie,
psychothérapie Le moment
neurasthénique ou la crise du
caractère moral - Psychanalyse, sociologie,
culturalisme : les voix de la personnalité
(1930-1950) - Un homme en suspens : l'attitude
analytique entre puritanisme et démocratie -
1950 : David Riesman et la demande de
personnalité . CHAPITRE 2
L'ego psychodynamique de la psychanalyse
américaine Retour en Europe :
le modèle de la névrose est-il
suffisamment bon ? La réaction
thérapeutique négative : plutôt
rester malade que tomber guéri - Les
névroses de caractère,
deuxième tournant des années 1920 -
Le virage de la relation
mère-enfant. La Psychologie du
Moi ou le retour à Freud de la psychanalyse
américaine Moi sain, moi
névrosé et soi narcissique : qui est
analysable aux États-Unis et comment ? - Le
retour du patient exclu ( - Réalité
sociale et réalités cliniques :
l'ascendant de l'idéal du moi sur le
surmoi. CHAPITRE 3
D'OEdipe à Narcisse :la crise de la
self-reliante La
jérémiade américaine ou les
habits neufs de l'ascétisme puritain
Le caractère
américain a-t-il changé ? - De
l'institution à l'impulsion : un changement
de signification de la valeur personnelle- 1966 :
le triomphe de la thérapie ou la fin de
l'autorité verticale - La tragédie de
Narcisse ou le refus du moi qui centre tout sur le
moi - Le manager et le thérapeute : deux
figures complémentaires de la crise
américaine La forme
américaine de l'inquiétude
individualiste Épidémiologie
: la mesure du trouble
Épistémologie : culturalisme et
fonctionnalisme Sociologie : crise du
libéralisme, crise de la self-reliance
Transcender la jérémiade : le
scepticisme démocratique américain de
Stanley Cavell à Alexis de
Tocqueville. L'ESPRIT
FRANÇAIS DE
L'INSTITUTION CHAPITRE 4 Le
sujet de la psychanalyse
française Les exemplaires
complexes de Lacan :psychologie collective ou
sociologie ? La névrose de caractère
et le déclin social de l'imago paternelle
Une réforme durkheimienne de Freud
La tension lacanienne : idéal social
et illusion du moi. Les pôles du
débat psychanalytique français La
troisième topique d'André Green
Le ton discret de la Psychologie
française du Moi. La psychanalyse
française comme métasavoir :
profession, culture de masse, politique Une profession
L'entrée dans la culture de masse
La politique de la psychanalyse
L'intrication des questions professionnelles et
politiques. CHAPITRE 5 De
l'autonomie comme aspiration à l'autonomie
comme condition De l'individualisme
politique à la société
individualiste (1789-1980) Le peuple,
l'égalité et la question sociale
La synthèse républicaine
La vie personnelle, une recomposition de la
vie privée et de la vie publique Le virage vers la
subjectivité ou l'alliance du
thérapeute et de l'entrepreneur La
subjectivité libérée :
programme critique ou programme apologétique
? - Justice et concurrence : le nouvel esprit de
l'action. CHAPITRE 6 Le
malheur de l'horizontalité ou les habits
neufs de l'idée
républicaine Un monde sans
limites Le malaise de
Freud- Psychanalyse du lien social, nouvelle
économie psychique - Le glissement du
pathogène au normatif. La crise du
symbolique et le déclin de l'institution :la
société perd-elle son autorité
? L'institution, la
règle sociale et la personne :
autorité morale et dressage logique - Une
réaction républicaine. CHAPITRE 7 Le
travail, la souffrance, la
reconnaissance La
dénonciation passionnée : le juste et
l'injuste La souffrance (262) - La compassion,
passion dangereuse (268) - La reconnaissance (272)
- Une utopie individualiste
antidéclinologique (278). La matière
de l'action : la qualité de vie, le stress
et le risque psychosocial Un tableau
nuancé de l'intensification - Comment
décrire le travail d'aujourd'hui ? -
Décrire les risques psychosociaux -
Harcèlement, culpabilité, autonomie :
un problème d'autorité des
directions. CHAPITRE 8 La
précarisation de l'existence : les nouvelles
donnes de l'inégalité entre
santé mentale et politique La clinique
psychosociale : restaurer la puissance d'agir face
au malheur néolibéral Les deux plaintes
Le secteur psychiatrique et le réseau
de santé mentale Le syndrome de la
perte de confiance Le travailleur social et
le clinicien : le malaise, levier de l'action
Restauration narcissique, estime de soi,
compétences Un empotiverment à
la française ? Rendre l'individu
capable d'être l'agent de son propre
change-ment ou le nouvel esprit
institutionnel La crise
américaine de la pensée sociale
française La dimension
personnelle ou le grand changement de
l'égalité Le malaise :
chimère épistémologique et
vérité socio-logique. CONCLUSION Les
affections électives ou l'attitude
individualiste face à
l'adversité Libéralisme
américain et antilibéralisme
français Pour bien
comprendre l'individualisme,penser d'abord
hiérarchie La santé
mentale, un traitement individualiste des
passions Notes Bibliographie Remerciements Un passage <<La
subjectivité, l'affect, les émotions,
les sentiments moraux, la vie psychique
imprègnent aujourd'hui l'ensemble de la
société et opèrent une
percée notable au sein de la connaissance
scientifique. Des notions comme la santé
mentale et la souffrance psychique qui n'avaient
guère d'importance avant le tournant des
années 1980 occupent désormais une
place majeure. Leur diffusion a d'abord
accompagné le mouvement
d'émancipation des moeurs à partir
des années 1970, puis les transformations de
l'organisation de l'entre-prise et la crise du
système de protection sociale qui
s'amorçaient dans les années 1980 et
se sont accélérées au cours
des années 1990. Un immense et
hétéroclite marché de
l'équilibre intérieur s'est
formé au cours des quatre dernières
décennies, mobilisant de multiples corps
professionnels et employant des formes de
thérapie ou d'accompagnement les plus
diversifiées. Parallèlement, dans la
connaissance scientifique, la vie psychique est
devenue un objet transversal à la biologie,
via les neurosciences avec les thèmes de
l'empathie et de la prise de décision,
à la philosophie, avec la vague de la
philosophie de l'esprit naturaliste, et à la
sociologie ou à l'anthropologie à
travers « le retour de l'acteur », «
le nouvel individualisme », « le retour
du sujet » ou « la subjectivation ».
Malade ou saine, la subjectivité
individuelle est sur le devant de la scène,
et nombreux sont ceux qui espèrent trouver
le secret de la socialité humaine à
travers la connaissance des
émotions. Santé
mentale, souffrance psychique, émotions se
sont ainsi installées, en relativement peu
d'années, au carrefour de la psychologie,
des neurosciences et de la sociologie. Dans ce
contexte, nous ne savons plus très bien
où nous en sommes entre l'homme biologique,
l'homme psychologique et l'homme social. Si cette
incertitude n'est pas nouvelle, elle est devenue un
champ de bataille : une atmosphère de bruits
et de fureurs imprègne les relations entre
les pratiques visant la transformation du psychisme
humain. Ces querelles ont la particularité
d'aller bien au-delà des controverses
thérapeutiques, cliniques ou
étiologiques que l'on trouve dans les autres
domaines pathologiques. Les acteurs font rapidement
de la Métaphysique, montent
immédiatement au créneau de
l'Éthique, s'affrontent allégrement
sur leurs conceptions différentes du Sujet
humain. Ces transformations
se sont opérées sous l'égide
de valeurs ras-semblées par le concept
d'autonomie. Il désigne aujourd'hui de prime
abord deux choses : la liberté de choix au
nom de la propriété de soi et la
capacité à agir de soi-même
dans la plupart des situations de la vie.
L'autonomie joue un rôle majeur dans la
centration de la société et des
savoirs sur la subjectivité individuelle
parce qu'elle implique une attitude
générale : elle consiste en une
affirmation de soi, en une assertion personnelle
qui avait une place limitée dans la vie
sociale française jusqu'à la fin des
années 1970. L'affirmation de soi est
à la fois une norme, parce qu'elle est
contraignante, et une valeur, parce qu'elle est
désirable. La généralisation
des valeurs de l'autonomie à l'ensemble de
la vie sociale équivaut à un tournant
personnel de l'individualisme. Il dessine une
atmosphère de nos sociétés qui
donne sa valeur sociale à la santé
mentale et à la souffrance
psychique. L'objet de ce livre
est double. Il vise d'abord à rendre compte
des changements qui érigent les notions de
subjectivité et d'autonomie, aujourd'hui
systématiquement associées, en
concepts clés de nos sociétés.
Plus précisément, il s'agit de
clarifier le fait que les relations sociales se
donnent désormais dans un langage de
l'affect qui se distribue entre le mal de la
souffrance psychique et le bien de
l'épanouissement personnel ou de la
santé mentale. Il espère ensuite
montrer, à l'encontre de l'opinion commune,
que nous en savons bien plus que ce que nous
croyons concernant la relation entre les deux
catégories du « psychologique » et
du « social' ».>> p.11 Commentaire Un livre exprimant une
pensée originale et de grande
culture. La comparaison des
sociétés française et
américaine est d'une grande richesse et
permet de sortir de notre esprit
franco-français.