Habiter,
Habité L'alchimie de
nos maisons dirigé
par Nicole Czechowzki Editions
Autrement,
4 rue d'Enghien, 75010 Paris, Tél: 01 47
70 12 50. (1990) ISBN:
2-86260-304-X Dernière de
couverture
SÉRIE
MUTATIONS La maison ne
saurait se réduire à une mise
à plat, en pièces, par les
spécialistes d'usage. La "machine à
habiter" décomposée,
expertisée, chiffrée, ne restitue
rien d'autre qu'une matière inerte. Entre
ces pages, nulle approche fonctionnaliste,
statistique ou technocratique. Cet ouvrage abrite
les habitants, leur mémoire, leurs
mouvements ; troublante alchimie entre des lieux et
des êtres. Entrer, sortir, accueillir,
déménager, emménager,
accumuler, ordonner ; ces gestes archaïques se
perpétuent mais se ressemblent-ils ?
Naguère on nourrissait le foyer,
désormais on effleure une touche. Les
maisonnées ont volé en éclats
; l'un d'entre eux se dénomme "unité
de vie autonome". C'est le studio. Les normes d'un
habitat banalisé laissent-elles encore du
terrain au hasard et à l'imaginaire ? Les
coins et recoins de notre enfance ont-ils toujours
lieu d'être ? Avec, entre autres,
Pierre Charras, Henri Cueco, Henri Gaudin, Patrick
Grainville, Michèle Manceaux, Gisèle
Prassinos, Michel Vernes... Cet ouvrage a
été dirigé par Nicole
Czechowski. Table des
matières ÉDITORIAL
: HABITER OU ÊTRE HABITÉ PAR NICOLE
CZECHOWSKI 1. «
MAISON-RACINES » Là
demeurent les habitants et leur mémoire.
Maison des racines, celle qui nous habite
longtemps, toujours, dans le souvenir ou dans le
manque. Odeurs, rumeurs, traces, estompées,
magnifiées, à vif, des
maisonnées fondatrices, avec
malgré, sans lesquelles nous nous
sommes construits. Troublantes alchimies entre des
lieux, des êtres, par-delà le
temps. 12
INTÉRIEUR-FEMMES GISÈLE
PRASSINOS <<...
elles faisaient partie de la maison,
l'entretenaient, l'animaient, la
réchauffaient et ainsi, à elles
trois, me la rendaient maternelle ». En 1922,
une petite maison en bois de la banlieue parisienne
abritait quatre femmes, deux hommes et deux enfants
qui avaient fui la Turquie. 16
PLAFONDS MICHÈLE
MANCEAUX «Dans
n'importe quel wc, c'est pareil, je suis
attirée par les plafonds rectangulaires
où j'installe ma chambre imaginaire. »
Quand les rêves de foyer viennent se nicher
dans les lieux d'aisances. 21
TRIBU CLAIRE
MERLEAU-PONTY Maison de
vacances, d'enfance, maison communautaire.
Mémoires tissées depuis trois
générations. Une éthique
librement consentie du don et de la récolte.
Une utopie bien réelle. 35 LA MAISON
ÉVENTRÉE CLAUDIE
DANZIGER Là
où planent la peur du manque, l'abandon, la
déchirure, elle est chez elle. Pour
s'approprier un lieu il faut qu'il lui ressemble.
Mais les murs, eux, ne pleurent pas ; ne dit-on pas
« être de pierre » ? Un
témoignage sur les origines. 38 L'OISEAU QUI
VA MOURIR GÈRALD
CAHEN <<.. il ne
serait plus dès lors que ce minuscule enfant
qui se laisserait dodeliner contre le sein de sa
mère et puis déshabiller et puis
dénuder pièce par pièce avec
des gestes précis... » 2. « MISES
EN PIÈCES » Du temps des
caves et des cagibis, des espaces que l'on dit
« perdus », à celui du « tout
en un » : le studio, équipé,
prêt-à-habiter. La mémoire a
cédé la place à la fonction,
avec le confort et la technologie en prime. La
maison en pièces ou en morceaux
? 42 DIX ANS DE
PLACARD JEAN-BERNARD
POUY « Au coin !
» coins et recoins, cagibis... souvenirs
terrorisés d'anciens enfants menacés.
Des histoires plus vraies que
nature. 48 LE SECRET DE
CHRISTOPHE (nouvelle)
RENÉ
LOUIS La maison
moderne a perdu sa cave, son âme et son
subconscient. A demi enfouis, les sous-sols servent
désormais de remise, de débarras, de
séchoir à linge, de garage.
Qu'avons-nous perdu là ? 53 LA CUISINE,
ENTRE LE PLAISIR ET LE FATAL MICHEL
VERNES Foyer radiant,
longtemps point de ralliement de la
maisonnée, la cuisine se réduit
désormais à une commodité
machinale soumise à l'obsession
hygiéniste et à l'économie
domestique. Du Moyen Age au xx siècle, de la
fournaise au « jeu clos », des
tourne-broches au micro-ondes. 65 PETIT LEXIQUE
FARFELU D'UNE ÉPOQUE
RÉVOLUE... PIERRE
CHARRAS Le professeur
Nimbus dresse la liste des lieux et objets de la
maison avec ce goût du paradoxe qui l'a rendu
célèbre. Mise en pièces d'une
époque avec ses buanderies, boudoirs et
bibelots. 70 TOUT EN
UN MICHÈLE
ZAOUI Nom : studio ;
taille : 25 m2 ; signes particuliers : kitchenette,
balcon, 6' étage avec ascenseur; vue
dégagée. Mise en scène d'une
« unité de vie autonome
». 76 TRENTE-DEUX
VIRGULE HUIT MÉTRES CARRÉS
(nouvelle) PIERRE
CHARRAS « Presque
tout de suite je me suis senti de taille à
faire de ce simple cube imparfait un vrai petit
palais. » 79 PERMIS DE
CONSTRUIRE MICHÈLE
ZAOUI Les mille et une
contraintes consignées dans
diverses « bibles
» (celle des promoteurs, des pompiers, etc.),
garantes de la sécurité et du confort
des habitants, mettent l'architecte au supplice.
L'auteur nous invite à participer à
un jeu où personne ne gagne. 3. MOUVEMENTS
PERPÉTUELS Dedans, dehors :
entrer, sortir, accueillir,
déménager, emménager;
mouvements vitaux dont la maison est le coeur, la
scène et les coulisses, le cocon et
l'étouffoir. Trouver le rythme juste, la
bonne distance, le chiffre d'or: s'y retrouver pour
ne pas se perdre. 86 ENTRE LES
PIERRES DU MUR GAETANE
LAMARCHE-VADEL Lorsque le
dehors devient synonyme de danger,
l'intérieur se transforme en camp
retranché, se replie sur lui-même.
Alors dans ce coffret capitonné, l'air ne
passe plus ; la chaleur accueillante devient
étouffante. 90
L'HOSPITALITÉ A UNE FORME HENRI
GAUDIN Abriter,
recevoir, des mots mais aussi des formes et des
matières. Une réflexion
poétique dans les tissus de la ville, ses
plis, ses creux et ses fissures. Une topologie, une
pensée de l'intervalle, du plein et du
vide. 104 ENTREZ SANS
FRAPPER ISABELLE
FERRE-LEMAIRE Maisons ouvertes
à tous vents, maisons du « Bon Dieu
», vestige d'une époque ? Comment cette
curieuse alchimie entre l'ouvert et le
fermé, le vide et le plein,
opère-t-elle ? Des témoignages sur
les différentes pratiques de l'accueil, hier
et aujourd'hui. 111 POURQUOI
QUITTER SON DOMESTIQUE
ISABELLE
YHUEL « Il n'y a
guère de doute que les raisons inconscientes
pour lesquelles on pratique une coutume, on partage
une croyance, sont fort éloignées de
celles qu'on invoque pour les
justifier-(Lévi-Strauss). Sur ce fond de
parfaite ignorance se pose la question : en 1990,
nomade ? sédentaire ? Qu'est-ce qui fait
courir le locataire ? Reportage. 120 CLÉS
EN MAINS ISABELLE
FERRÉ-LEMAIRE Emménager:
premiers moments, premiers gestes dans un espace
inconnu, ni hostile, ni convivial, en attente.
Scène au ralenti ; mouvements
décomposés. 123 CARTE
BLANCHE POUR MOQUETTE ROUGE ISABELLE
FERRÉ-LEMAIRE Étrange
profession que celle du décorateur à
qui le client délègue l'organisation
de son lieu de vie. La mutation de la citrouille en
carrosse est un chemin plein d'embûches,
surtout lorsque le présumé habitant
ne manifeste aucun désir. 4. «
MÉLI-MÉLO » « Tout
n'est que luxe, calme et volupté... Partout
l'ordre règne. » À chacun
sa propre perception de l'ordre et du
désordre. Et si l'un naissait de l'autre ?
Entre quatre murs se joue cette symphonie des
objets, avec ses pleins et ses vides, son chaos et
ses points d'harmonie. Attention, un objet peut en
cacher un autre ! 128 LUXE,
HORREUR DU VIDE PATRICK
GRAINVILLE « Le
premier luxe est là, dans le duvet du nid.
Coquille, cocon. Habiter contre la peur, le vide.
Le luxe, c'est le manque devenu masse, la perte
muée en pléthore.
» 132 UNE MAGIE
PLUS FORTE QUE LA MORT (nouvelle) RENÉ
LOUIS La
bibliothèque n'est pas réductible
à une pièce de la maison. Elle
s'échappe, elle déborde, elle nous
habite et nous l'habitons, trait d'union entre le
particulier et l'universel. Un livre en appelle un
autre. 143 LES CHOSES
ENTRETIEN AVEC HENRI CUECO Empilements,
entassements, superpositions, qu'est-ce qui pousse
le peintre Henri Cueco et sa femme, Marinette,
à accumuler chez eux autant d'objets ? Se
perdre dans les choses pour y trouver quoi
? 149 ORDRE,
DÉSORDRE, FOUILLIS...
ÉVELYNE
VOLPE L'ordre serait
la loi et le désordre, lui, associé
à « une imagination excessive »,
selon le Nouveau Larousse
élémentaire. Cette
question-là, si elle n'est pas un champ de
bataille, ressemble du moins à un terrain
miné. 156 MISE EN
BOITES DOMINIQUE
CHEVALIER De tout temps
l'homme a éprouvé le besoin de
ranger. A peine sorti du refuge naturel des
grottes, il inventait la première expression
de l'étagère. C'était vingt
mille ans avant notre ère. Depuis, les
meubles de rangement se sont multipliés et
diversifiés. Un historique de cette
évolution jusqu'à nos
jours. 164 Une histoire
du meuble de rangement illustrée
DOMINIQUE
CHEVALIER Un passage <<Rien n'est
là par hasard. Mais ce qui est là
encombre le passage, tandis que le dernier
conglomérat en formation prend place sur
l'ultime chaise vacante... Draps défaits,
couette sans housse, journaux, miettes de pain et
autres volatiles jonchent sol et lit. En moins de
deux la chambre peut devenir antre, tanière
ou niche (...domaine réservé, jardin
secret : on a son vrac à soi que l'on ne
montre pas). Très vite aussi on s'y perd :
« Le désordre est complice de
l'oubli... Une demi-heure pour trouver un short, un
livre, je ne fais pas attention à ce que je
range, où je le range... Il y en a
partout... au point que de vagues taches de bleu
clair de moquette n'apparaissent plus que
très rarement... Regardez en dessous de mon
lit ou derrière ma chaise, vous y
retrouverez mes chaussettes de la veille... Alors
je me dis : Élise sort tes affaires et
après, range le tout correctement.
» L'ordre c'est la
loi et l'agrégat un petit malfrat. Fauteur
de trouble, il dérange. Sournois, il
s'insinue. Audacieux il avance par nappes et va de
l'avant. Compte tenu de la propension naturelle des
choses à s'emmêler et des fils
à faire des noeuds, tout ce qui traîne
à vau-l'eau est susceptible
d'entraîner autre chose, bientôt
rejoint par une troisième. Entassement
à l'état naissant, petit troublion
deviendra grand. Un bon matin derechef on
décide d'un plan. On se range à son
injonction. Sus à la confusion des genres.
Clés, clous, boutons et timbres-poste
doivent rejoindre leurs gîtes respectifs.
Autant que faire se peut, tout ce qui traîne
dehors sera rentré, au besoin
pêle-mêle dans le tiroir du buffet.
Tout superflu débarrassé du plancher,
allez ouste ! du balai. L'ordre est parfois
désordre rentré. Contrepoint à
un état de désarroi en soi, il vient
endiguer le déferlement intérieur qui
est là, et menace. Édifice du dedans
et chaos environnant se
répondent. Deux mondes
entrent en résonance. Craquelures et
fissures signent de leurs zébrures
l'état d'éboulis du dedans, il faut
refaire les peintures. Ranger, arranger,
réparer aident à supporter, à
« boucher les trous de l'édifice du
monde » (Henri Heine). On s'active, on tourne
en rond, on lâche un soupir. Prêt
à tout bazarder, on relègue à
la cave ou en haut d'une armoire. À moins
que le tout ne passe directement à la
poubelle ce que dans les bureaux on appelle
le « classement vertical ». Plus
entêté, on recourt à l'esprit
de système. On en appelle aux
catégories disponibles pour mieux remiser la
marchandise, apaiser l'âme
égarée et calmer les objets
déchaînés : classeurs,
secrétaire, chiffonnier, casier à
bouteilles, placard à balais... à
chaque contenant le contenu approprié,
à chaque détenteur d'objets son style
de rangement visible, sur
étagère à claire-voie, ou
derrière des portes à l'abri.
À chacun ses vieilles habitudes :
Cosy-corner, coquet cottage dans la campagne
anglaise et thé de cinq heures ancrent dans
une tradition. Comme le temps
qu'il fait dehors, l'état des lieux agit sur
nous, tel un catalyseur d'état d'âme.
Quelle que soit la couleur du ciel, un jour il nous
console de quelque chagrin, et le lendemain le
ravive. Chambardement du
soir, espoir. Jusqu'à deux heures du matin
les meubles valsent dans la pièce.>>
p.150 Commentaire Une suite de petits textes
littéraires, poétiques qui attirent
l'attention sur nos habitudes, nos façons de vivre
l'espace de nos maisons.