Le ghetto
français Enquête
sur le séparatisme social Eric
Maurin Editions Seuil.
Collection: La république des idées.
(2004) ISBN: 2-02-068580-9
(10,5€) Dernière de
couverture Le problème
de la ségrégation urbaine en France
ne se limite pas à quelques centaines de
quartiers dévastés par l'échec
et la pauvreté. Ceux-ci ne sont que la
conséquence la plus visible de tensions
séparatistes qui traversent toute la
société, à commencer par ses
élites. A ce jeu, ce ne sont pas seulement
des ouvriers qui fuient des chômeurs
immigrés, mais aussi les salariés les
plus aisés qui fuient les classes moyennes
supérieures, les classes moyennes
supérieures qui évitent les
professions intermédiaires, les professions
intermédiaires qui refusent de se
mélanger avec les employés, etc. Le
phénomène est d'autant plus
préoccupant qu'en enfermant le
présent, les fractures territoriales
verrouillent aussi l'avenir des individus et les
assignent à des destins sociaux
écrits d'avance. Tel est l'enseignement de
cette enquête au coeur du « ghetto
français », qui révèle
une société marquée par la
défiance et la recherche de l'entre-soi, et
découvre en chacun de nous un complice plus
ou moins actif de la ségrégation
urbaine. Éric
Maurin
X-ENSAE et docteur en économie, est
chercheur au Groupe de recherche en économie
et statistique (Grecsta, CNRS). Il est l'auteur de
nombreux articles sur l'emploi et les politiques
sociales ainsi que de l'Égalité des
possibles (La République des Idées/Le
Seuil, 2002). Table des
matières INTRODUCTION CHAPITRE
I La
société de l'entre-soi Une
ghettoïsation par le haut Les quartiers de
pauvres Ghettos
d'immigrés Ségrégation
et embourgeoisement Les
déchirures politiques du
territoire La
sélectivité de la mobilité
résidentielle Stratégies
d'évitements Les
inégalités d'environnement
social L'enfermement
social des enfants Grandir entre
pairs CHAPITRE
II Ségrégation
et destins individuels La mixité
en question Bonheurs et
malédictions du voisinage Destins
convergents Diversité
des HLM, diversité des
destins Voisins de
décembre, voisins de janvier CHAPITRE
III Ségrégation
et politiques sociales L'échec
des politiques du logement L'échec
des ZEP et des zones franches Miser sur
l'enfance Aider les jeunes
adultes Conclusion
Annexes Un passage <<L'autre
tentative emblématique des politiques
ciblées en direction des quartiers en
difficulté est la politique des ZEP. Fait
assez mal connu, cette politique est aujourd'hui
menée en France à grande
échelle. Les ZEP couvraient plus de 8 % des
élèves de collège en 1982,
près de 11% des élèves et 15 %
des collégiens au milieu des années
1990 et environ 20 % des écoliers et
collégiens aujourd'hui, soit un million et
demi d'enfants et d'adolescents. Le classement en
ZEP offre un surcroît de moyens aux
établissements sous forme de postes et
d'heures supplémentaires d'enseignement,
l'un des objectifs étant de réduire
la taille des classes. Les personnels
reçoivent par ailleurs une prime
spécifique (environ 1000 euros par an) et
bénéficient d'un avantage relatif
pour être promus à un grade
supérieur ou pour changer de poste. Les
incitations financières ont pour objectif
d'attirer et de fidéliser les enseignants.
Au total, en 1998-1999, le supplément de
ressources allouées aux ZEP
représentait environ 1,2% du total des
dépenses pour les activités
d'enseignement (environ 400 millions
d'euros). Il s'agit ainsi
d'une politique ambitieuse, accompagnée d'un
effort budgétaire globalement important.
L'effort est toutefois saupoudré sur une
telle quantité de zones et une telle masse
d'enfants qu'au total les ressources
allouées en moyenne à un
élève de ZEP sont à peine 8 %
à Io % supérieures à celles
allouées à un élève
hors ZEP. À titre de comparaison, aux
Pays-Bas, les ressources allouées en moyenne
à un élève issu de milieux
défavorisés sont de 1,5 à 2
fois plus importantes que la moyenne (selon qu'il
est issu de l'immigration ou non), et ce
indépendamment de la localisation de son
école. Étant
donné le faible surcroît de ressources
destinées aux élèves en
difficulté, les évaluations
disponibles des ZEP sont, sans surprise,
très décevantes; Elles montrent que
les progrès des élèves en
mathématiques et en français y sont,
toutes choses égales par ailleurs,
plutôt moins importants que dans les
établissements hors ZEP, ou encore que le
classement en ZEP ne s'accompagne d'aucune
amélioration des performances relatives des
établissements
concernés. Dans la mesure
où ces études n'ont pas vraiment les
moyens de prendre en compte les effets du voisinage
et du contexte social dans lequel se
déroulent les scolarités, le constat
n'est peut-être pas aussi sombre qu'elles le
disent. Les ZEP sont situées dans des
quartiers plutôt plus
défavorisés que la moyenne, avec des
proportions d'élèves en
difficulté et d'élèves
d'origines modestes relativement fortes et
plutôt en augmentation. Dans la mesure
où ces éléments de voisinage
sont en eux-mêmes des facteurs d'échec
scolaire, l'absence d'« effets ZEP» dans
les évaluations disponibles est
peut-être la résultante d'un effet
intrinsèquement négatif du voisinage
et d'un effet intrinsèquement positif de la
ZEP. En d'autres termes, les évaluations
disponibles auraient peut-être
identifié un différentiel de
progression encore plus net encore entre les
élèves fréquentant une ZEP et
les autres si aucun supplément de moyens
n'avait été alloué aux
ZEP. Le
problème principal est bien celui du
saupoudrage et de l'insuffisant ciblage des moyens.
Le passage en ZEP ne s'est accompagné que
d'une très lente, et finalement assez
faible, diminution du nombre d'élèves
par classe . À la fin des années
1990, on compte en moyenne deux
élèves en moins par classe dans les
ZEP, ce qui est faible, mais cohérent avec
l'idée d'un effort d'environ 10%
supérieur dans les ZEP. Une partie de cet
écart d'effectif par classe existait en
outre avant même le passage en ZEP et n'est
pas à proprement parler le résultat
de cette politique. S'agissant de la
composition du corps enseignant, le passage en ZEP
s'accompagne d'un léger accroissement de la
part des enseignants les moins
expérimentés. Les politiques
d'incitations financières n'arrivent pas
vraiment à fidéliser les enseignants
expérimentés. Elles attirent des
professeurs en début de carrière dont
beaucoup semblent avant tout miser sur les
possibilités de pro-motion et de
mobilité ultérieure. S'agissant enfin
de la composition sociale des
établissements, R. Bénabou, E Kramarz
et C. Prost révèlent une
légère détérioration du
contexte: la proportion d'enfants n'allant pas
à la cantine (indicateur de la proportion de
parents chômeurs et/ou sans ressources)
augmente légèrement au fil du temps
dans les ZEP, l'écart s'accroissant avec les
zones hors ZEP. De fait, comme nous avons
déjà eu l'occasion de le mentionner,
les ZEP souffrent d'un problème de
stigmatisation : les familles de classes moyennes
et supérieures évitent de s'y
installer, ce qui, au fil des départs et des
rem-placements, finit par altérer leur
sociologie.>> p.64-66 Commentaire Réflexion et
analyse très fines qui reposent sur les
résultats d'une enquête de
l'INSEE.