<<Dans la
tradition épistémologique qui remonte
à la 17n du siècle dernier, on
distingue deux types de sciences : les sciences de
la nature et les sciences de l'esprit, qu'on
dénomme plus couramment en France «
sciences de l'homme ». Or cette opposition,
qui a une réelle légitimité au
plan épistémologique, ne recoupe pas
exactement ce qui se joue au niveau des
disciplines. Parmi les sciences humaines en effet,
on compte la psychologie, la sociologie,
l'ethnologie, l'anthropologie, l'histoire,
l'économie, la linguistique qui, bien
sûr, ont affaire avec les sciences de
l'esprit. Mais chacune de ces disciplines ne
relève pas, dans sa totalité, de
l'épistémologie des sciences
humaines. La linguistique par exemple, est
constituée de nombreuses sous-disciplines.
On oppose ainsi en son sein la sociologie du
langage et la pragmatique d'un côté,
la phonologie, de l'autre. Or ces deux groupes de
sous-disciplines ne se réclament pas du
même statut épistémologique.
Les premières relèvent
essentiellement des sciences humaines, les secondes
essentiellement des sciences de la
nature.
De même en
psychologie, la psychophysiologie, la
neurophysiologie, l'aphasiologie,
l'éthologie humaine et animale,
relèvent essentiellement des sciences de
la
nature, cependant
que la psychopathologie, la psychanalyse, la
psychologie des petits groupes, etc.,
relèvent des sciences de
l'esprit.
Et encore cette
partition entre deux groupements de
sous-disciplines n'aboutit-elle pas à une
identification parfaitement pure du point de vue
épistémologique. Pour ne prendre que
l'exemple de la psychanalyse, beaucoup d'auteurs,
à commencer par Freud, considèrent
qu'elle relève des sciences de la nature.
L'éthologie humaine ne peut pas être
considérée uniquement comme une
science de la nature; l'aphasiologie tout
entière est prise dans la structure
symbolique et culturelle, référence
sans laquelle il est impossible de faire l'analyse
des troubles du langage et de la pensée
déclenchés par des lésions du
système nerveux central.
Et l'ergonomie :
s'inscrit-elle dans le cadre
épistémologique d'une science humaine
ou d'une science de la nature (F. Daniellou, 1992)
?
Finalement, il faut
bien admettre que la prise en considération
des deux grandes lignées
épistémologiques conduit au constat
que beaucoup de disciplines et de sous-disciplines
sont traversées par les deux ordres
épistémologiques et qu'il faut donc
souvent faire face au problème de
l'hétérogénéité
épistémologique des
disciplines.
Pourquoi? Est-ce
parce que ces distinctions
épistémologiques ne sont pas
pertinentes'? Est-ce parce que les disciplines
appartenant aux sciences humaines sont
foncièrement incohérentes ou
immatures, ou bien est-ce le fait de querelles
idéologiquement et socialement
déterminées entre chercheurs
épris de polémique?
L'hétérogénéité
en cause ne vient pas de la science. Son origine
est dans le monde. C'est le monde qui est
hétérogène. Ou plus exactement
c'est l'homme qui introduit
l'hétérogénéité
par rapport à la nature. En effet l'homme
appartient aux deux mondes. Comme nous avons
déjà eu l'occasion de le voir dans la
première partie, l'homme appartient au monde
naturel, notamment par son corps biologique, mais
il appartient aussi au monde de l'action ou de
l'esprit, essentiellement par sa capacité de
manipuler et surtout de créer des symboles.
Fondamentalement, si l'homme appartient au monde de
l'esprit dont par ailleurs il est le constructeur,
c'est du fait de sa capacité à
participer à des interactions symboliques
médiatisées par le
langage.>>p.84-86
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