<<VALEURS
EUROPÉENNES, AMÉRICAINES,
OCCIDENTALES ?
L'originalité des
valeurs du modèle européen peut se
décliner en ingrédients que Tzvetan
Todorov nomme sans hésiter :
rationalité, justice, démocratie,
liberté individuelle, laïcité,
tolérance. Ajoutons-y la place de la
pensée critique et le doute, vertu
philosophique qui rend les Européens tou_
jours insatisfaits de l'état des choses,
à la différence des
Américains. Le questionnement est permanent,
comme l'autocritique, qui empêche parfois de
choisir de quel côté de l'histoire se
situer. Cette identité de l'Union est
mou-vante car en construction ; elle s'est
renouvelée dans les deux dernières
décennies, dans le sens d'une bien plus
grande diversité : nouveaux peuples,
nouvelles langues', mémoires et
passés différents. L'enjeu est donc
dans l'ouverture aux autres. Il n'y a pas de
construction européenne qui vaille pour les
citoyens sans un effort de connaissance de
l'histoire et de la culture des autres. L'Autre de
l'Europe a longtemps été son
passé ou plus exactement une
interprétation de ses épisodes les
plus sombres, contre lesquels il fallait
bâtir autre chose, en contenant « les
particularismes et l'ortie des
caractéristiques nationales2
».
A la recherche de lieux et de
noeuds de mémoire européens, Pierre
Nora établit sept catégories :
historiographiques (Mémorial de Caen),
fondateurs (du droit romain aux Lumières, de
la Révolution à l'impérialisme
; on pourrait ajouter le marxisme), cruciaux
(militaires et diplomatiques), géographiques
(le Rhin), culturels et économiques (la
Hanse et la City), créatifs, symboliques
(Saint-Jacques-de-Compostelle et ses chemins, la
Déclaration des droits de l'homme,
Auschwitz'). À moins que le lieu primaire de
la mémoire européenne ne soit ses
multiples et instables frontières, lignes de
front, mais d'où provinrent ensuite
plusieurs des initiateurs de sa configuration
démocratique actuelle. Aujourd'hui, l'Autre
est tantôt le voisin, d'où les
interrogations que nourrissent les extensions
successives de l'Union, tantôt les pays
émergents et concurrents.
Les sondages récents
indiquent que les Européens distinguent un
ensemble de valeurs européennes communes (61
%) par rapport à d'autres continents ; mais
au regard de valeurs définies comme
occidentales, seul un tiers soutient une
spécificité européenne contre
44 % estimant qu'il n'y a pas de valeurs
européennes communes, mais des valeurs
occidentales globales2. Jugement partagé par
une majorité de Français (52 %),
comme par les Néerlandais, les Belges, les
Suédois ou les Allemands ! Alors que les
nouveaux États membres réputés
proches des États-Unis restent les plus
attachés à la
spécificité des valeurs
européennes, la perception prévaut
d'une « proximité » entre
Européens au plan des valeurs.>>
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