« Nos
sociétés font du corps une entreprise
à gérer au mieux. Sa valeur
intrinsèque tient au travail exercé
à son propos. Il faut mériter sa
forme et la plier à sa volonté. Dans
un monde où règne la
désorientation du sens, nombre d'acteurs,
trouvent prise sur leur exitence à travers
une discipline du corps. A défaut de
contrôler sa vie, on contrôle au moins
son corps. » (Postface
inédite) Publié pour
la première fois en 1990, cet ouvrage a
inauguré une série de nombreuses
publications consacrées au corps devenu au
fil de cette décennie « l'un des
analyseurs majeurs des sociétés
contemporaines, un fin révélateur du
statut de l'individu ». L'homme occidental se
découvre un corps, lieu
privilégié du bien-être, du
bien-paraître, signe de l'individu et de sa
différence. Mais ce corps est aussi un lieu
de précarité, de vieillissement qu'il
faut combattre pour conjurer la perte et tenter de
maîtriser l'insaisissable. Deviendrait-il une
structure encombrante dont il faudrait se
défaire ? David Le Breton
est professeur à l'Université
Marc-Bloch de Strasbourg. Auteur de nombreux
ouvrages,Il a publié aux PUF Sociologie du
corps (Que sais-je n° 2678), et dans la
collection Quadrige : Conduites à risque
L'interactionnisme symbolique, de Blumer
à Goffman. Table des matières INTRODUCTION
CHAPITRE 1
L'insaisissable du corps Le mystère
du corps, 13 - « Vous nous avez apporté
le corps », 16 - Polysémie du corps,
22. CHAPITRE 2
Aux sources d'une représentation
moderne du corps :l'homme anatomisé
Le corps populaire,
29 - Une anthropologie cosmique, 33 - Les reliques,
36 - Le corps intouchable, 38 - ,Naissance de
l'individu, 39 - Invention du visage, 42 - La
montée de l'individualisme, 44 - Le corps,
facteur d'individuation, 46 - L'homme
anatomisé, 47 - Léonard de Vinci et
Vésale, 50 - La Fabrica de Vésale, 53
- Le corps comme le reste, 60. CHAPITRE 3
Aux sources d'une représentation
moderne du corps: le corps machine La
révolution galiléenne, 63 - Le corps
dans la philosophie cartésienne, 67 - Le
corps surnuméraire, 72 - L'animal-machine.
75 - Le corps sur le modèle de la machine,
77 - Une « anatomie politique », 78 -
Ouvertures, 80. CHAPITRE 4
Aujourd'hui, le corps Le savoir
biomédical, 83 - Les savoirs populaires du
corps aujourd'hui, 84 - Le manteau d'Arlequin, 88 -
Une communauté perdue ?, 89. CHAPITRE 5
Une esthésie de la vie quotidienne
Quotidien et
connaissance, 93 - Le corps en situation
extrême : un détour vers le quotidien,
97 - La respiration sensorielle du quotidien, 102 -
La dominance du regard, 105 - Les lieux où
l'on vit, 109 - Bruits, 111 - Odeurs,
115. CHAPITRE. 6
Effacement ritualisé ou
intégration du corps 125 Le corps
présent-absent, 125 - Les rites
d'effacement. 131 - Le corps exposé, 135 -
Le corps escamoté. 139 - Les
ambiguïtés de la libération du
corps 143. CHAPITRE 7
Le vieillissement intolérable : le
corps défait 145 Le corps
indésirable. 145 - Le vieillissement. 147 -
Images du corps, 150 - Le regard de l'autre,
153. CHAPITRE 8- L'
homme et son double : le corps « alter ego
»157 Un nouvel
imaginaire du corps, 157 - Le corps, marque de
l'individu, 159 - Le corps alter ego, 163 - Le
corps surnuméraire. 168 - De l'insaisissable
du monde moderne au saisissable du corps. 171 -
Catégories sociales, 175 - Ie secret du
corps, 177. CHAPITRE 9 -
Médecine et médecines : d'une
conception du corps à des conceptions de
l'homme 191 Etat des lieux, 181
- Crise de l'institution médicale, 184 -
Savoir sur l'homme, savoir sur l'organisme, 186 -
Une anthropologie résiduelle. 187 -
L'efficacité symbolique, 190 -
L'efficacité médicale, 192 - L'effet
placebo. 194 - Autres médecines, autres
anthropologies. 196 - I,e guérisseur et la
modernité, 199. CHAPITRE 10 -
Les hiéroglyphes de lumière : de
l'imagerie médicale à l'imaginaire du
corps 203 Un monde devenu
image, 203 - Le corps mis en regard, 206 - Un
imaginaire de la transparence, 208
L'épuration de l'imaginaire du dedans, 210 -
L'imaginaire du dehors, 217 - Le savoir et le voir,
223 - L'imagerie mentale : le regard de
l'imaginaire. 226. CHAPITRE 11 - La
voie du soupçon : le corps et la
modernité 229 La voie du
soupçon. 229 - Le corps en pièces
détachées, 231 - Des modèles
humains presque parfaits, 239 - Des grossesses hors
de la femme, 241 - La procréation sans
sexualité, 243 - L'utérus
occasionnel, 245 - Le foetus contre sa mère,
251 - Un risque anthropologique majeur?, 252 -
L'écorce de l'homme, 253 - Machine ou
organisme, 259. POSTFACE :
265 BIBLIOGRAPHIE
DES OUVRAGES CITÉS 279 Un passage <<Ouvertures Depuis le XVlIe
siècle une rupture avec le corps s'est
amorcée dans les sociétés
occidentales. Sa position au titre d'objet parmi
d'autres, sans dignité particulière,
le recours banalisé dès cette
époque à la métaphore
mécanique pour en rendre compte, les
disciplines, les prothèses correctrices qui
se multiplient. Autant d'indices parmi d'autres qui
laissent entrevoir le soupçon qui
pèse sur le corps et les volontés
éparses de le corriger, de le modifier
à défaut de le soumettre totalement
au mécanisme. Un fantasme implicite,
informulable bien sûr, est sous-jacent, celui
d'abolir le corps, de l'effacer purement et
simplement ; nostalgie d'une condition humaine qui
ne devrait plus rien au corps, lieu de la
chute. La technique et la
science contemporaines s'inscrivent dans le droit
fil de cette quête qui ne s'est depuis lors
jamais démentie : comment faire de ce
brouillon qu'est le corps un objet fiable, digne
des procédures techniques et scientifiques.
La science est dans une relation étonnamment
ambivalente avec le corps : il est son
anti-modèle, elle le contourne, elle cherche
à s'en débarrasser, en même
temps elle cherche sans cesse à le dupliquer
avec ses moyens propres et de façon
maladroite. Peut-être toute l'histoire de la
science n'est-elle que l'histoire des corrections
opérées sur les insuffisances
(à ses yeux) du corps, d'innombrables
biffures pour échapper à sa
précarité, à ses limites.
Tentation démiurgique aussi de l'imiter,
d'agir techniquement sur lui. Aujourd'hui une autre
facette se dévoile, toujours plus
évidente : la lutte contre le corps
dévoile sa structure cachée, le
refoulé qui la soutenait : la peur de la
mort. Corriger le corps, en faire une
mécanique, l'associer à l'idée
de la machine, c'est échapper à cette
échéance, c'est gommer «
l'insoutenable légèreté de
l'être » (M. Kundera). Le corps, lieu de
la mort en l'homme. N'est-ce pas ce qui
échappe à Descartes à la
manière d'un lapsus quand dans ces
Méditations l'image du cadavre s'impose
spontanément à son raisonnement pour
nommer sa condition corporelle : « Je me
considérai premièrement comme ayant
un visage, des mains, des bras, et toute cette
machine composée d'os et de chair, telle
qu'elle paraît en un cadavre, laquelle je
désignai du nom de corps. » Image
d'autant plus troublante qu'elle est moins
nécessaire et même
insolite. L'assimilation du
corps au mécanisme bute contre le
résidu qu'elle est contrainte de
négliger sous peine de s'invalider :
l'homme. La complexité infinie de la
condition humaine liée à la dimension
symbolique est une limite à laquelle se
heurte l'analogie courante entre le corps (voire
l'individu) et la machine. Le corps
confronté à ces procédures de
rationalisation fait figure d'animal logé au
coeur de l'être, insaisissable, sinon de
façon provisoire et parcellaire. Le corps,
vestige mufti. millénaire de l'origine non
technique de l'homme. Faute des origines
que nombre de procédures s'efforcent de
corriger. L'assimilation mécanique du corps
humain, qui laisse étrangement
l'épaisseur humaine de côté,
traduit dans la modernité la seule
dignité qu'il soit possible de
conférer at. corps. L'admiration des
chirurgiens ou des biologistes devant le corps dont
ils essaient de pénétrer les arcanes
ou celle plut candide du profane se traduisent par
le même cris Quelle merveilleuse machine que
le corps humain. » p.80
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