La bonne éducation
commence par l'"Educateur"
lui-même.
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Socrate cherchait un Homme
vertueux, dénonçant sur son
chemin les discours tout faits tant dans
la forme que dans le fond,
dénonçant aussi les
élites, les cadres, les
éducateurs qui prétendaient
avoir les techniques, les méthodes
permettant à l'Homme d'advenir un
peu plus lui-même, sur ce chemin que
nous menons tous, et qui va de notre
naissance jusqu'à notre
mort.
Ainsi il dénonçait,
non pas le fait que cela existe car cela
est bien nécessaire, mais les
personnes non authentiques, non
sincères, leurs discours
galvaudés, ainsi que leurs actions
qu'elles ne comprenaient pas
elles-mêmes.
La société
occidentale, qui n'a retenu de Socrate que
la raison (le plus souvent vue comme plan
intellectuel loin de tout sentiment, ce
que n'est pas Socrate. Il compose avec,
car il ne se fait pas croire que cela
n'existe pas) et qui s'est
égarée paradoxalement dans
un sentimentalisme de la raison a-t-elle
tant progressé que cela dans son
éducation auprès de la
jeunesse ?
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A vouloir tant reléguer les
sentiments, les sensations à la porte de
lui-même, et à ne pas vouloir
l'articuler avec la raison, l'Homme (fut-il une
femme), se déséquilibre.
Il en va,
d'ailleurs, de même pour ceux, qui,
découvrant ce fait, inversent le
procédé et se lancent dans la
quête éperdue du sensible, de la
méditation, du zen, du bouddhisme, ... de
consommation, allant jusqu'à se
déséquilibrer, à vouloir tant
bien traiter leur féminité, presque
paradoxalement par la «force».
Pour ainsi dire, L'Homme et sa
société, sont en crise, pas
étonnant dès lors, que sa finance
aille mal, que sa planète aille mal ... et
que même son Éducation et sa Jeunesse,
souffrent aussi.
Combien sont-ils les individus authentiques
et sincères, articulant inconscient et
conscient, féminin et masculin,
sensibilité et plan intellectuel, action et
ressenti, se questionnant sur eux-mêmes, sur
leurs discours et sur leurs actes et ainsi advenant
un peu plus eux- mêmes et agissant en
conformité avec eux-mêmes chaque jour.
Sont-ils légion dans notre
société ?
Et pourtant, pour se saisir de la question
de l'éducation, la penser, développer
des politiques publiques, et évidemment
mener sur le terrain des accompagnements
psychoéducatifs auprès d'un jeune ou
des groupes de jeunes, il faut tout de même
s'être posé quelques questions sur
soi-même, les autres et le monde. Sinon
à faire cette économie apparente de
soi, il y a de grandes chances que
l'éducation, ses discours, ses
méthodes et ses politiques publiques, ne
restent qu'un jeu de dupe puisque l'on ne sait pas
ni de quoi on parle ni ce que l'on fait.
Combien sont-ils à prétendre
faire face à la question douloureuse du sens
de la vie pour les êtres et qui ne sont
jamais entrés dans un questionnement
sincère, ne serait-ce déjà,
que pour eux-mêmes ?
Combien ont fait face à leur douleur
de vivre en y donnant du sens? Combien sont-ils
à avoir dépassé leurs conflits
par le haut et être entrés en vraie
créativité, raisonnement et amour ?
Depuis Socrate les gens auraient-ils tant
changé qu'ils seraient devenus tous vertueux
?
Mon «combien sont ils ?» concerne
les politiques, les enseignants, les cadres
socioéducatifs, les éducateurs, les
penseurs de l'éducation (sociologues,
psychologues et philosophes), et même les
parents.
Et ce n'est que forts de cela, que nous
pouvons aller à la rencontre de notre
jeunesse.
Évidemment
même ainsi, c'est-à-dire, quand une
personne s'est mise en route dans une vraie
réflexivité, cela ne règle pas
le problème de la question de la crise et du
sens, lié au modèle sociétal,
même si cela y répond
déjà un peu mieux.
Des crises ... une crise
de sens ?
La crise financière qui nous touche
collectivement aujourd'hui n'est-elle pas la
même depuis des années mais
s'exprimant de manière différente ?
Lorsque nous parlons de crise de l'identité,
de crise morale ou de crise de l'autorité,
ne s'agit-il pas, du même complexe et du
même symptôme, liés à un
modèle sociétal donné : le
nôtre ?
Nous avons fait le choix d'un modèle
de réalisation de nous-mêmes par
l'action et collectivement cela nous
déséquilibre ainsi que notre
environnement. Cela amène même
certains à la déviance ... Même
la finance est touchée, certains
dévient tellement, qu'ils en arrivent
même à dévier de la loi et
à délinquer en col blanc.
Délinquant en col blanc, comme le nommait,
déjà dans les années 40, Edwin
Suterland , au travers de son fameux concept de
« white collar crime ».
Ce modèle sociétal de l'action
comporte néanmoins ses vertus et il ne faut
pas le mettre cependant totalement «à
la poubelle» et évidemment, je ne
prône pas le choix d'un investissement
collectif vers un modèle uniquement
ontologique (de l'être) qui nous donnerait
l'impression, d'être suspendus dans le temps,
d'être dans l'inaction, et qui nous ferait
tomber dans une absence totale de
créativité nouvelle, une absence de
prise de responsabilité et par exemple une
certaine «saleté» ambiante dans
nos villes. D'autres sociétés, en
Asie plus particulièrement, s'y sont
essayées, et reviennent fortement de ces
modèles ontologiques sociétaux. Ne
devrions-nous pas aller, tant individuellement que
collectivement, vers un modèle articulant
L'Être et l'Action sauf à continuer
à être secoués collectivement
ainsi pendant longtemps encore ?
En ce qui concerne la question de
l'éducation des adolescents dont ceux des
quartiers populaires, nous ne pourrons pas en
rester, encore longtemps non plus, à
disserter sur des thématiques de violences
des jeunes, de conflits intrajeunes, des questions
de douleurs identitaires sans dire qu'il s'agit
là, de la même crise, des mêmes
douleurs, et des mêmes
symptômes.
La question du modèle et du sens se
pose et s'impose à tous. Pourquoi
voudrions-nous, que les adolescents et les jeunes
adultes arrivent mieux que les élites, les
cadres, les éducateurs, les penseurs,
à répondre à ces questions et
se mettent à agir avec plus
d'éthique, de sincérité, de
respect des règles, d'eux-mêmes et des
autres ? Ce qui, d'ailleurs, arrive parfois !
N'est-ce plus aux adultes de prendre leur
responsabilité aussi et avant toute chose ?
Avons-nous oublié le rapport de
dissymétrie et, plus encore, le sens que
cela a quand nous sommes face à la jeunesse
?
Les exclus du
Banquet
Certains penseront, que penser ainsi comme
je le fais, c'est oublier, les limites
sociétales auxquelles se heurtent par
exemple, plus encore, les adolescents et les jeunes
adultes des quartiers populaires : peu de
possibilités d'accès aux
qualifications, surreprésentions
numériques des sorties de l'école
sans diplôme en particulier chez les
garçons, sans aucune politique
spécifique menée à leur
égard, difficultés d'accès au
logement, ou difficultés d'accès
à l'emploi, souffrance psychique,
mal-être dans des proportions statistiques
plus importantes que pour tout le reste de la
population. Mais que l'on ne s'y trompe pas, il ne
s'agit pas d'un oubli de ma part, bien au
contraire, mais pour aller vers eux et au plus
près de ce qu'ils vivent, je ne pouvais pas
faire l'économie décemment ni des
Éducateurs ni du modèle
sociétal.
Ayant commencé avec Socrate,
poursuivons notre route avec lui, pour parler du
Banquet de Platon.
Avec «Le Banquet » de
Platon, nous avons là, un groupe
d'hommes qui s'invitent à manger,
qui mènent des discours, qui
parlent de l'amour; dont les membres du
groupes possèdent un certain statut
social mais aussi et c'est fondamental
tout autant, un statut personnel. Ils
s'adonnent aussi quelque peu à la
critique des discours tout faits, des
élites déviantes, se
remettant en cause eux-mêmes ou
entre eux, et se livrant au bien
être tant physiquement (nourriture
délicate mais sans abus, pensant au
choix de ne pas trop boire, et ils peuvent
même dormir à la fin du repas
sur une couche ... le lit est aussi
offert) , tant intellectuellement (ils se
forment et s'informent, discourent sur les
formes de l'amour, et sur la forme des
discours eux-mêmes) que
psychiquement (ils s'autorisent à
ressentir, à s'émouvoir et
à en parler, à faire sens,
pour eux-mêmes, de leurs sentiments
etc..)
Pourquoi parler du Banquet de
Platon pour parler des adolescents et
jeunes adultes ? Pour ainsi dire, les
jeunes sont exclus du «
Banquet», accès à la
nourriture, au logement, au bien
être, au discours, à la
formation ... et même souvent au
sensible et à l'amour !
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Mais plus encore, qui, parmi les adultes
d'aujourd'hui, connaît le Banquet de Platon
et l'a investi de sens pour lui-même, pour sa
vie ? Et surtout combien d'adultes
s'intéressent à leur propre culture
pour donner du sens à leur vie et combien
encore sont en capacité de permettre aux
jeunes de trouver du sens ou d'apprendre aux jeunes
à comment faire sens avec des
éléments de notre culture
?
Les jeunes sont exclus,
par deux fois, du Banquet :
.
L'une consistant à ne pas leur
permettre d'accéder au Banquet
physiquement. Les jeunes sont donc ainsi
freinés, bloqués dans leur
individualisation : logement, travail, amour
...
Et l'autre consistant à être
privé d'un développement de soi
psychique (ce que l'on nomme l'individuation)
car les adultes, ne le font même pas ou
très peu pour eux-mêmes, puisqu'ils
croient que seules comptent : l'action, la
matérialité: ils se livrent à
une socialisation sans aucun sens
supplémentaire pourtant nécessaire.
Les jeunes sont ainsi alors bloqués aussi
dans leur individuation : réalisation
d'eux-mêmes, dépassement des conflits
intrapsychiques, capacité de donner du sens
aux douleurs, aux sentiments et aux
sensations.
L'individualisation et l'individuation ne
s'opposent pas mais se complètent. On ne
peut pas accéder (et garder longtemps) une
place ou un objet que l'on ne soit pas advenu tant
dans l'individualisation que dans
l'individuation.
Posséder un objet, s'approprier un
savoir, s'autoriser à prendre une place, une
formation sans pouvoir y mettre du sens et de la
sincérité rend au mieux malheureux,
au pire fait décrocher, tôt ou tard,
de sa place, de sa possession.
Posséder un psychisme fort, un moi
fort dirait-on dans le langage courant, ne garantit
quant à lui en rien une place, une
promotion, l'accès à l'amour, au
savoir.
C'est bien la complémentarité
des deux qui permet à l'être de se
réaliser pleinement même si dans ce
mieux on ne possède encore évidemment
pas toutes les cartes et que cela ne résout
pas tous les problèmes.
Pour joindre la forme au fond, en
procédant avec une mise en sens de la
réalité de la jeunesse, grâce
à l'utilisation du symbole du Banquet de
Platon, j'ai pu ainsi vous informer mieux encore
sur la nature de l'exclusion dont ils
souffrent.
Nombreux sont les jeunes qui ne trouvent pas
les ressources, les personnes leur permettant de
donner du sens comme je suis en train de le faire,
ou leur expliquant comment procéder pour
donner du sens avec des éléments
culturels ou pour leur servir de
modèle
au moins
dans le procédé tout comme je le
fais,auprès de vous sur ce thème. Car
accéder au Banquet, c'est aussi avoir cette
capacité là. «Faire
accéder et être en capacité
d'accéder»! Afin de permettre à
ces jeunes d'accéder au Banquet (aux deux
aspects du Banquet), il existe évidement
quelques moyens mis en place :
Par exemple, en France, le
département de Paris, sous l'autorité
de la DASS, fait travailler des associations dans
le cadre d'une mission de service publique d'aide
sociale à l'enfance (A.S.E.) en direction
des adolescents des quartiers populaires. Il s'agit
d'action sociale, sur un versant de protection de
l'enfance, et plus particulièrement, au
travers de ce que l'on nomme la prévention
spécialisée (plus connue au travers
de l'action de ses éducateurs
spécialisés travaillant dans la rue,
dits aussi «éducateurs de rue» ).
C'est l'une des réponses qui est
apportée à cette jeunesse.
Ce type d'action ne peut s'entendre que si
elle connaît une thématique, un sens
particulier. Ainsi sur Paris, la nomination
relativement récente de Myriam El khomri,
chargée de la protection de l'enfance et de
la prévention spécialisée, et
son engagement à une exigence de culture
pour les jeunes des quartiers populaires vont dans
ce sens, de ce besoin de «culture» ... la
voie est donc ouverte vers «le Banquet»
mais il reste un très long chemin à
faire.
Évidemment nous nous devons
d'envoyer des Éducateurs ( politiques,
professeurs, éducateurs
spécialisés ..) de qualité
face à toute la jeunesse, et les titres
universitaires où des écoles
d'éducateurs obligatoires dans ce domaine
ne suffisent pas.
Comment s'assurer que
l'Éducateur, au sens large, (du niveau
politique et administratif jusqu'au terrain)
peut traiter sincèrement la question du
sens (capacité de mise en sens, de remise
en cause de soi-même, du doute
nécessaire, d'état psychique au
moins stabilisé, mentalisation
efficiente, etc..) ce qui n'est obligatoire
nulle part réglementairement, ce qui ne
peut pas être enseigné dans une
école, et ce qui est pourtant d'une
obligation vitale dans la pratique
?
Ce double impératif (formation
capacité de sens) nécessaire dans
toute éducation, l'est d'autant plus
auprès des jeunes des quartiers populaires
et dans l'éducation
spécialisée, si nous voulons leur
permettre de nous rejoindre aussi, au Banquet et
surtout que cela ait un sens pour eux.
Paris,
2009.
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