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Les exclus du «Banquet»

Éléments de réflexion sur l'éducation des adolescents et des jeunes adultes des quartiers populaires.

Frédéric Fappani

             Frédéric Fappani, formé aux sciences de l’éducation et aux approches analytiques, a pu mener, depuis plus de 17 ans, des accompagnements individuels et collectifs. Il est cadre au sein d’une oeuvre de protection de l’enfance, où il gère un service de prévention spécialisé dans le 19 ème arrondissement de Paris pour le compte de l'association OPEJ.

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La bonne éducation commence par l'"Educateur" lui-même.

             Socrate cherchait un Homme vertueux, dénonçant sur son chemin les discours tout faits tant dans la forme que dans le fond, dénonçant aussi les élites, les cadres, les éducateurs qui prétendaient avoir les techniques, les méthodes permettant à l'Homme d'advenir un peu plus lui-même, sur ce chemin que nous menons tous, et qui va de notre naissance jusqu'à notre mort.

             Ainsi il dénonçait, non pas le fait que cela existe car cela est bien nécessaire, mais les personnes non authentiques, non sincères, leurs discours galvaudés, ainsi que leurs actions qu'elles ne comprenaient pas elles-mêmes.

             La société occidentale, qui n'a retenu de Socrate que la raison (le plus souvent vue comme plan intellectuel loin de tout sentiment, ce que n'est pas Socrate. Il compose avec, car il ne se fait pas croire que cela n'existe pas) et qui s'est égarée paradoxalement dans un sentimentalisme de la raison a-t-elle tant progressé que cela dans son éducation auprès de la jeunesse ?

             A vouloir tant reléguer les sentiments, les sensations à la porte de lui-même, et à ne pas vouloir l'articuler avec la raison, l'Homme (fut-il une femme), se déséquilibre.

Il en va, d'ailleurs, de même pour ceux, qui, découvrant ce fait, inversent le procédé et se lancent dans la quête éperdue du sensible, de la méditation, du zen, du bouddhisme, ... de consommation, allant jusqu'à se déséquilibrer, à vouloir tant bien traiter leur féminité, presque paradoxalement par la «force».

             Pour ainsi dire, L'Homme et sa société, sont en crise, pas étonnant dès lors, que sa finance aille mal, que sa planète aille mal ... et que même son Éducation et sa Jeunesse, souffrent aussi.

 

             Combien sont-ils les individus authentiques et sincères, articulant inconscient et conscient, féminin et masculin, sensibilité et plan intellectuel, action et ressenti, se questionnant sur eux-mêmes, sur leurs discours et sur leurs actes et ainsi advenant un peu plus eux- mêmes et agissant en conformité avec eux-mêmes chaque jour. Sont-ils légion dans notre société ?

             Et pourtant, pour se saisir de la question de l'éducation, la penser, développer des politiques publiques, et évidemment mener sur le terrain des accompagnements psychoéducatifs auprès d'un jeune ou des groupes de jeunes, il faut tout de même s'être posé quelques questions sur soi-même, les autres et le monde. Sinon à faire cette économie apparente de soi, il y a de grandes chances que l'éducation, ses discours, ses méthodes et ses politiques publiques, ne restent qu'un jeu de dupe puisque l'on ne sait pas ni de quoi on parle ni ce que l'on fait.

             Combien sont-ils à prétendre faire face à la question douloureuse du sens de la vie pour les êtres et qui ne sont jamais entrés dans un questionnement sincère, ne serait-ce déjà, que pour eux-mêmes ?

             Combien ont fait face à leur douleur de vivre en y donnant du sens? Combien sont-ils à avoir dépassé leurs conflits par le haut et être entrés en vraie créativité, raisonnement et amour ? Depuis Socrate les gens auraient-ils tant changé qu'ils seraient devenus tous vertueux ?

             Mon «combien sont ils ?» concerne les politiques, les enseignants, les cadres socioéducatifs, les éducateurs, les penseurs de l'éducation (sociologues, psychologues et philosophes), et même les parents.

             Et ce n'est que forts de cela, que nous pouvons aller à la rencontre de notre jeunesse.

Évidemment même ainsi, c'est-à-dire, quand une personne s'est mise en route dans une vraie réflexivité, cela ne règle pas le problème de la question de la crise et du sens, lié au modèle sociétal, même si cela y répond déjà un peu mieux.

 

Des crises ... une crise de sens ?

             La crise financière qui nous touche collectivement aujourd'hui n'est-elle pas la même depuis des années mais s'exprimant de manière différente ? Lorsque nous parlons de crise de l'identité, de crise morale ou de crise de l'autorité, ne s'agit-il pas, du même complexe et du même symptôme, liés à un modèle sociétal donné : le nôtre ?

             Nous avons fait le choix d'un modèle de réalisation de nous-mêmes par l'action et collectivement cela nous déséquilibre ainsi que notre environnement. Cela amène même certains à la déviance ... Même la finance est touchée, certains dévient tellement, qu'ils en arrivent même à dévier de la loi et à délinquer en col blanc. Délinquant en col blanc, comme le nommait, déjà dans les années 40, Edwin Suterland , au travers de son fameux concept de « white collar crime ».

             Ce modèle sociétal de l'action comporte néanmoins ses vertus et il ne faut pas le mettre cependant totalement «à la poubelle» et évidemment, je ne prône pas le choix d'un investissement collectif vers un modèle uniquement ontologique (de l'être) qui nous donnerait l'impression, d'être suspendus dans le temps, d'être dans l'inaction, et qui nous ferait tomber dans une absence totale de créativité nouvelle, une absence de prise de responsabilité et par exemple une certaine «saleté» ambiante dans nos villes. D'autres sociétés, en Asie plus particulièrement, s'y sont essayées, et reviennent fortement de ces modèles ontologiques sociétaux. Ne devrions-nous pas aller, tant individuellement que collectivement, vers un modèle articulant L'Être et l'Action sauf à continuer à être secoués collectivement ainsi pendant longtemps encore ?

             En ce qui concerne la question de l'éducation des adolescents dont ceux des quartiers populaires, nous ne pourrons pas en rester, encore longtemps non plus, à disserter sur des thématiques de violences des jeunes, de conflits intrajeunes, des questions de douleurs identitaires sans dire qu'il s'agit là, de la même crise, des mêmes douleurs, et des mêmes symptômes.

             La question du modèle et du sens se pose et s'impose à tous. Pourquoi voudrions-nous, que les adolescents et les jeunes adultes arrivent mieux que les élites, les cadres, les éducateurs, les penseurs, à répondre à ces questions et se mettent à agir avec plus d'éthique, de sincérité, de respect des règles, d'eux-mêmes et des autres ? Ce qui, d'ailleurs, arrive parfois !

             N'est-ce plus aux adultes de prendre leur responsabilité aussi et avant toute chose ? Avons-nous oublié le rapport de dissymétrie et, plus encore, le sens que cela a quand nous sommes face à la jeunesse ?

 

Les exclus du Banquet

             Certains penseront, que penser ainsi comme je le fais, c'est oublier, les limites sociétales auxquelles se heurtent par exemple, plus encore, les adolescents et les jeunes adultes des quartiers populaires : peu de possibilités d'accès aux qualifications, surreprésentions numériques des sorties de l'école sans diplôme en particulier chez les garçons, sans aucune politique spécifique menée à leur égard, difficultés d'accès au logement, ou difficultés d'accès à l'emploi, souffrance psychique, mal-être dans des proportions statistiques plus importantes que pour tout le reste de la population. Mais que l'on ne s'y trompe pas, il ne s'agit pas d'un oubli de ma part, bien au contraire, mais pour aller vers eux et au plus près de ce qu'ils vivent, je ne pouvais pas faire l'économie décemment ni des Éducateurs ni du modèle sociétal.

             Ayant commencé avec Socrate, poursuivons notre route avec lui, pour parler du Banquet de Platon.

             Avec «Le Banquet » de Platon, nous avons là, un groupe d'hommes qui s'invitent à manger, qui mènent des discours, qui parlent de l'amour; dont les membres du groupes possèdent un certain statut social mais aussi et c'est fondamental tout autant, un statut personnel. Ils s'adonnent aussi quelque peu à la critique des discours tout faits, des élites déviantes, se remettant en cause eux-mêmes ou entre eux, et se livrant au bien être tant physiquement (nourriture délicate mais sans abus, pensant au choix de ne pas trop boire, et ils peuvent même dormir à la fin du repas sur une couche ... le lit est aussi offert) , tant intellectuellement (ils se forment et s'informent, discourent sur les formes de l'amour, et sur la forme des discours eux-mêmes) que psychiquement (ils s'autorisent à ressentir, à s'émouvoir et à en parler, à faire sens, pour eux-mêmes, de leurs sentiments etc..)

             Pourquoi parler du Banquet de Platon pour parler des adolescents et jeunes adultes ? Pour ainsi dire, les jeunes sont exclus du « Banquet», accès à la nourriture, au logement, au bien être, au discours, à la formation ... et même souvent au sensible et à l'amour !

             Mais plus encore, qui, parmi les adultes d'aujourd'hui, connaît le Banquet de Platon et l'a investi de sens pour lui-même, pour sa vie ? Et surtout combien d'adultes s'intéressent à leur propre culture pour donner du sens à leur vie et combien encore sont en capacité de permettre aux jeunes de trouver du sens ou d'apprendre aux jeunes à comment faire sens avec des éléments de notre culture ?

 

Les jeunes sont exclus, par deux fois, du Banquet :

.             L'une consistant à ne pas leur permettre d'accéder au Banquet physiquement. Les jeunes sont donc ainsi freinés, bloqués dans leur individualisation : logement, travail, amour ...

             Et l'autre consistant à être privé d'un développement de soi psychique (ce que l'on nomme l'individuation) car les adultes, ne le font même pas ou très peu pour eux-mêmes, puisqu'ils croient que seules comptent : l'action, la matérialité: ils se livrent à une socialisation sans aucun sens supplémentaire pourtant nécessaire. Les jeunes sont ainsi alors bloqués aussi dans leur individuation : réalisation d'eux-mêmes, dépassement des conflits intrapsychiques, capacité de donner du sens aux douleurs, aux sentiments et aux sensations.

             L'individualisation et l'individuation ne s'opposent pas mais se complètent. On ne peut pas accéder (et garder longtemps) une place ou un objet que l'on ne soit pas advenu tant dans l'individualisation que dans l'individuation.

             Posséder un objet, s'approprier un savoir, s'autoriser à prendre une place, une formation sans pouvoir y mettre du sens et de la sincérité rend au mieux malheureux, au pire fait décrocher, tôt ou tard, de sa place, de sa possession.

             Posséder un psychisme fort, un moi fort dirait-on dans le langage courant, ne garantit quant à lui en rien une place, une promotion, l'accès à l'amour, au savoir.

             C'est bien la complémentarité des deux qui permet à l'être de se réaliser pleinement même si dans ce mieux on ne possède encore évidemment pas toutes les cartes et que cela ne résout pas tous les problèmes.

             Pour joindre la forme au fond, en procédant avec une mise en sens de la réalité de la jeunesse, grâce à l'utilisation du symbole du Banquet de Platon, j'ai pu ainsi vous informer mieux encore sur la nature de l'exclusion dont ils souffrent.

             Nombreux sont les jeunes qui ne trouvent pas les ressources, les personnes leur permettant de donner du sens comme je suis en train de le faire, ou leur expliquant comment procéder pour donner du sens avec des éléments culturels ou pour leur servir de modèle

– au moins dans le procédé tout comme je le fais,auprès de vous sur ce thème. Car accéder au Banquet, c'est aussi avoir cette capacité là. «Faire accéder et être en capacité d'accéder»! Afin de permettre à ces jeunes d'accéder au Banquet (aux deux aspects du Banquet), il existe évidement quelques moyens mis en place :

             Par exemple, en France, le département de Paris, sous l'autorité de la DASS, fait travailler des associations dans le cadre d'une mission de service publique d'aide sociale à l'enfance (A.S.E.) en direction des adolescents des quartiers populaires. Il s'agit d'action sociale, sur un versant de protection de l'enfance, et plus particulièrement, au travers de ce que l'on nomme la prévention spécialisée (plus connue au travers de l'action de ses éducateurs spécialisés travaillant dans la rue, dits aussi «éducateurs de rue» ). C'est l'une des réponses qui est apportée à cette jeunesse.

             Ce type d'action ne peut s'entendre que si elle connaît une thématique, un sens particulier. Ainsi sur Paris, la nomination relativement récente de Myriam El khomri, chargée de la protection de l'enfance et de la prévention spécialisée, et son engagement à une exigence de culture pour les jeunes des quartiers populaires vont dans ce sens, de ce besoin de «culture» ... la voie est donc ouverte vers «le Banquet» mais il reste un très long chemin à faire.

             Évidemment nous nous devons d'envoyer des Éducateurs ( politiques, professeurs, éducateurs spécialisés ..) de qualité face à toute la jeunesse, et les titres universitaires où des écoles d'éducateurs obligatoires dans ce domaine ne suffisent pas.

             Comment s'assurer que l'Éducateur, au sens large, (du niveau politique et administratif jusqu'au terrain) peut traiter sincèrement la question du sens (capacité de mise en sens, de remise en cause de soi-même, du doute nécessaire, d'état psychique au moins stabilisé, mentalisation efficiente, etc..) ce qui n'est obligatoire nulle part réglementairement, ce qui ne peut pas être enseigné dans une école, et ce qui est pourtant d'une obligation vitale dans la pratique ?

             Ce double impératif (formation – capacité de sens) nécessaire dans toute éducation, l'est d'autant plus auprès des jeunes des quartiers populaires et dans l'éducation spécialisée, si nous voulons leur permettre de nous rejoindre aussi, au Banquet et surtout que cela ait un sens pour eux.

Paris, 2009.

 

Voir également: Profencampagne

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