Dernière de couverture Malaise dans l'université : "Le pouvoir politique, quelle que soit sa
légitimité, n'a aucun droit sur le
savoir, ni sur sa production, ni sur sa
transmission, parce que le savoir relève
d'un autre ordre que lui. S'il veut étendre
son empire sur le savoir, il devient
tyrannique. Table des matières DOSSIER : L'IDÉOLOGIE DE
L'ÉVALUATION Yves Charles Zarka,
Présentation Barbara Cassin, La qualité
est-elle une propriété
émergente de la quantité ? Sophie Basch, Le démon de
l'explicite Michel Blay, L'évaluation
par indicateurs dans la vie scientifique : choix
politique et fin de la connaissance François Simonet,
L'évaluation : objet de standardisation
des pratiques sociales Agnès Aflalo, Le scientisme
de l'évaluation Bertrand Guillaume, Indicateurs de
performance dans le secteur public : entre illusion
et perversité Emmanuel Picavet, Les
universités françaises, victimes de
l'idéologie de l'enseignement
supérieur Roland Gori, Les scribes de nos
nouvelles servitudes Michela Marzano, « Publish or
perish » GRAND ARTICLE Yves Charles Zarka, Un pouvoir
supposé savoir GLOSSAIRE Michel Espagne, La nouvelle langue de
l'évaluation CHRONIQUE INTELLECTUELLE Raphaël Draï La
prédation de la pensée RECENSIONS Peter Sloterdjik Colère et Temps, Essai
politico-psychologique, Michel Herland Pierre
Dockès, Hobbes. Économie, Terreur et
Politique, Delphine Thivet Un passage <<Qu'est-ce
que tyranniser le savoir ? "Allons sans
détour au coeur du problème par deux
thèses : 1/il existe une idéologie de
l'évaluation ; 2 / cette idéologie
est une des grandes impostures de la
dernière décennie. (...) Elle concerne
l'ensemble des pratiques et des activités
qui s'inscrivent dans les institutions, les
organismes, les établissements publics ou
privés. L'idéologie de
l'évaluation se répand comme une
traînée de poudre. Elle se
déploie partout, aussi loin qu'il est
possible d'aller. Elle ne connaît pas de
limite, ni d'âge (on évalue les
enfants en maternelle), ni de secteur
(l'enseignement, la recherche, la culture, l'art,
etc. y sont soumis), pas même les dimensions
les plus retirées de la personnalité,
voire de l'intimité, des acteurs n'y
échappent. Ainsi l'hôpital, la
justice, l'école, les universités,
les institutions de recherche, les productions
culturelles, l'accréditation de formes
d'art, les politiques publiques sont investies par
l'idéologie de
l'évaluation. L'inversion
idéologique consiste à faire passer
pour une mesure objective, factuelle,
chiffrée ce qui est un pur et simple
exercice de pouvoir. L'évaluation est un
mode par lequel un pouvoir (politique ou
administratif, général ou local)
exerce son empire sur les savoirs ou les savoirs
faire qui préside aux différentes
activités en prétendant fournir la
norme du vrai. (...) Notre temps
est celui des grandes impostures. Celles-ci ont
été à l'origine de guerres, de
la crise financière et économique
gravissime que le monde connaît aujourd'hui,
mais aussi de la mise en place de dispositifs plus
discrets mais, à leur niveau, très
nocifs et même pervers. L'idéologie de
l'évaluation a envahi la
société presque sans que l'on s'en
rende compte, presque sans réaction et sans
résistance, sauf du côté des
psychanalystes qui ont vu le danger avant les
autres'. Une des grande impostures s'installe dans
l'in-différence et le silence. Un
système inquisitorial, qui double et
surplombe toutes les procédures existantes
d'examen, d'appréciation et de jugement,
continue à se mettre en place en
dénonçant ceux qui, par hasard,
oseraient s'y opposer comme partisans du statu quo,
de l'inefficacité et du déclin. Cet
effet paradoxal se développe en particulier
dans le domaine de l'enseignement supérieur
et de la recherche. Universitaires et chercheurs
n'ont pas attendu le système de
l'évaluation pour être examinés
dans leurs travaux et dans leurs résultats.
Ils l'ont toujours été
régulièrement par des instances
encore existantes (le Conseil national des
universités, le comité national de la
recherche scientifique, et plu-sieurs autres
conseils ou comités). Le système de
l'évaluation vient donc doubler ou
infléchir ces instances. Certes, il y avait
avant le système de l'évaluation des
erreurs commises, il y avait même, il ne faut
pas le cacher, des abus de pouvoirs et des
règlements de compte. Il aurait donc fallu
modifier la constitution de ces conseils ou
commissions et certaines de leurs procédures
pour empêcher ces distorsions. Au lieu de
cela, on a mis en place un système qui non
seulement n'empêche pas les abus de pouvoir,
mais les généralise. Le
système de l'évaluation ouvre la
possibilité d'un abus de pouvoir permanent,
d'un abus de pouvoir qui s'auto-accrédite et
s'auto-justifie. (...)
L'idéologie de l'évaluation dans sa
prétention à se
généraliser à tous les
domaines d'activité cache et
révèle à la fois un
désir de domination universel, un pouvoir
qui entend étendre son contrôle sur
tous les aspects de la vie sociale et de la vie de
l'esprit.>> Extrait de
l'éditorial d'Yves Charles
Zarka 1-Jacques-Alain
Miller et Jean-Claude Milner, Voulez-vous
être évalué ? (Grasset, 2005)
cf. également plusieurs numéros de la
revue Le Nouvel Âne et les Forums
organisés ces dernière années
par J.-A. Miller.
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