L’INSPECTEUR, UN MEDIATEUR

DANS DES SITUATIONS DE CONFLIT

JEAN-POL ROCQUET – Janvier 2004

PLAN DU SITE

             Dans mon projet de circonscription, il y a deux axes qui sont prioritaires et qui fondent l’exercice de la responsabilité que j’entends assurer :

l’inspection, évaluation des personnels, d’une part, et l’intégration des conflits, d’autre part.

             Le reste est accessoire, la carte scolaire est l’affaire du DSDEN qui peut solliciter mon avis, quand il le souhaite, les missions sont dérisoires, les enquêtes sans intérêt.

             Si l’on dresse un état quantitatif des problèmes posés par l’intégration des conflits, dans une circonscription, pendant une année scolaire, on peut estimer que cinq problèmes sont « lourds ». Ils requièrent un suivi et des interventions régulières, une analyse et un traitement de fond. Il s’agit de « cas » qui dépassent la dimension professionnelle. Sur ces cinq « cas », quatre concernent des directeurs, et un instituteur. Outre ces cinq situations récurrentes, j’ai noté trente et un conflits ponctuels qui ont trouvé leur résolution, au moins temporaire. Dix neuf ont opposé des enseignants aux parents d’élèves, neuf, des enseignants à d’autres enseignants, trois, à des partenaires (communaux : adjoint au maire, ATSEM.)

 

Nature des conflits

             La nature des conflits est essentiellement relationnelle : les conflits prennent leur origine, disent les personnes en conflit, dans une absence de communication ou une « mauvaise » communication, une trop grande rigidité (de leur adversaire), une extrême sévérité, un rejet de l’intégration.

             En deuxième lieu, c’est l’inquiétude qui se manifeste à propos du niveau des élèves, du respect des programmes, des méthodes qui apparaissent peu orthodoxes, hors normes.

             Enfin, sont manifestes également des conflits propres à l’organisation : remplacement des maîtres absents, mutations et carte scolaire. Le déplacement d’une défaillance d’organisation sur les personnes est un phénomène fréquent : un maître absent n’est pas remplacé, donc c’est la secrétaire ou l’inspecteur ou le directeur, voire l’enseignant en congé de maladie qui sont mauvais.

             Pour ce qui concerne les deux derniers domaines, j’ai pour habitude de recadrer le conflit et d’adresser les personnes en conflit aux lieux de responsabilité. Un IEN-ccpd n’a pas à établir des médiations pour ce qui ne le concerne pas : les fermetures de postes ou d’école, la mutation des personnels est l’affaire du DSDEN et des services administratifs. Comme il n’a pas la possibilité de négocier, sauf délégation explicite, l’IEN n’a aucun pouvoir sur l’issue d’un conflit qui touche à l’organisation. C’est sans doute la raison pour laquelle je n’ai pas eu à intervenir en médiateur dans ce type de conflit, fondés dans l’organisationnel, parce qu’ils n’apparaissent pas de ma responsabilité. Cela s’avère d’autant plus impossible que les DSDEN demandent qu’un IEN épouse son point de vue. Il ne peut comprendre, sauf exception, qu’un médiateur est neutre et impartial.

 

Qui est en conflit ?

             La plupart des conflits mettent en scène des directeurs. Ce qui n’est pas très étonnant si on considère leur niveau de responsabilité : ils se situent à l’intermédiaire entre les enseignants et les partenaires, si l’on considère leur responsabilité qui s’exerce dans de très nombreux domaines, pédagogique, administratif et relationnel.

             Ce qui est étonnant, en revanche, c’est que personne n’ait pris la mesure de cette responsabilité qui n’est jamais reconnue, toujours déniée. Il serait temps qu’un ministre prenne enfin des dispositions qui permettent aux directeurs d’exercer leur fonction et leur responsabilité. Sinon on pourra toujours prouver leur inefficience et continuer à regretter leur manque d’engagement : “Il est assez facile de persécuter les gens. Il suffit de leur donner des moyens en-dessous de leurs besoins. Vous êtes sûr qu’au bout du compte, ils échoueront.”

             Car les directeurs souffrent des conflits et des confrontations, c’est eux qui sont touchés par les manifestations agressives, la souffrance des gens, la maltraitance des enfants, les logiques différentes des organisations diverses, et les stratégies d’acteurs. Il reçoivent les injures, les insultes, les menaces, les pleurs, les suppliques, dans leur bureau, entre deux moments de classe. Ils éprouvent une véritable fatigue psychique dont il faudra un jour tenir compte.

             Les Comités Locaux Educatifs (CLE) voulus par S. Royal, alors ministre déléguée à l’enseignement scolaire, s’est révélé un échec, et rapidement abandonné. Ce n’est pas que ces comités soient inintéressants, mais on s’est trompé dans les attributions des rôles : les IEN-ccpd devaient relayer la parole des DSDEN, qui ne sont pas de grands « communicants. » Ce faisant, on disposait des IEN comme des sous-DSDEN, sans pouvoir et bridés dans leur expression.

             Il est de tradition, dans les différents échelons de la hiérarchie administrative, de dire que la grève des directeurs ne sert à rien, et que les directeurs font la preuve qu’on peut se passer d’eux. Je prétends qu’au contraire, cette grève coûte très cher à l’état, par exemple en postes d’enseignants, mais aussi en temps de travail d’autres personnels. La connaissance du terrain est très limitée et toutes les informations qui devraient être fournies par les directeurs changent la réalité. Il en va des administrations centrales et déconcentrées de l’Education nationale comme du ministère de la Santé au temps de la canicule de l’été 2003. Personne se saurait dire, même dans un département combien il y a d’élèves, ni même combien il y a d’enseignants. Et comme les morts de la canicule qui n’existaient pas, un ministre peut affirmer, grâce aux informations du logiciel SIGNA, qu’il y a moins de violence dans les écoles et les établissements.

 

Les conflits récurrents et leur traitement

             La plupart des situations critiques, les « cas, » prennent un temps considérable. Ce que nous appelons situations critiques de conflit récurrent, ce sont ces situations qui mettent toujours en conflit au moins une même personne. C’est cette directrice qui accumule les conflits : avec les collègues (aucune suite donnée aux actions prévues, rétention d’informations sur les stages, les mutations) avec des partenaires (la banque qui gère le compte de coopérative scolaire, le concierge et l’intervenant extérieur sans agrément), avec les parents d’élèves. C’est cette autre directrice en conflit avec un collègue, toujours le même. Régulièrement, ils se retrouvent en opposition, à l’occasion d’une grève, des crédits attribués à la classe, de l’emploi du temps de la piscine, de l’organisation des services de récréation. Ces deux « vieux ennemis » se repoussent autant qu’ils s’attirent. C’est cette directrice qui se sent visée par ses collègues, les parents, les puissants, elle démontre avec force, arguments qu’elle est victime d’un harcèlement moral auquel sont associées différentes personnes. C’est cet enseignant qui éprouve une telle crainte dans la relation qu’il fuit toute réunion d’équipe, qu’il ne reçoit aucun parent, qu’il fait régner dans sa classe un ordre conformiste, fait de règles et de silence.

             Les situations critiques sont rares, mais elles occupent l’inspecteur, elle épuisent son énergie et son temps. Elles se développent dans une perspective plus large que le domaine professionnel. Elles ont effectivement une dimension personnelle avec laquelle il faut faire. Leur traitement est long. Très long, si l’on suit la voie administrative, et de peu d’effet. Cette voie, celle du conseil de discipline, par exemple, ne peut être suivie qu’après un certain nombre de faits dont il faut attester de la réalité et tenir la comptabilité. Ce qui est la moindre des choses. Il faut également que le personnel mis en question ait l’occasion de présenter une argumentation contradictoire et une défense, relayée, étayée par les organisations syndicales dont c’est le rôle. Au total, l’administration, au regard de sa réglementation et de la jurisprudence, prendra une décision cohérente, difficile. On le comprend. Mais le blâme ou le déplacement sont rarement des solutions aux problèmes personnels qui fondent la situation critique.

             En revanche, la médiation de l’inspecteur, ou celle d’un autre professionnel, un psychologue par exemple, peut être l’occasion de trouver une solution qui ne soit pas définitive à un problème complexe et qui prenne les personnes en considération.

Généralement, la médiation s’achève par une mise en relation de professionnels divers : responsables de services administratifs, professionnel de la santé, de l’assistance sociale. Mais la médiation est réussie quand le sujet a pris conscience que la solution aux problèmes qu’il rencontre est ailleurs que dans son métier. Il y faut du temps, de la méthode et de l’énergie.

             C’est aussi un travail de l’IEN-ccpd que d’accompagner la grande difficulté professionnelle. La méthode est délicate : elle se fonde sur la référence aux textes officiels, sur la relation des faits tenus au jour le jour par différents acteurs : partenaires, collègues, voire élèves et la comparaison entre le général et le particulier.

 

Des inspecteurs médiateurs

             Le statut est-il gênant ? Il est vrai qu’un inspecteur a une position hiérarchique et que médiation et hiérarchie ne font pas bon ménage (management.) Pourtant la hiérarchie n’a plus les attributs de l’autorité à laquelle on défère. S’il y a autorité, c’est plus par « autorisation » par le fait d’être l’auteur d’une proposition de médiation. La hiérarchie est alors fonctionnelle. Elle sert alors la médiation.

             Dans un conflit qui met en scène un, ou des protagonistes scolaires, personne a priori n’a qualité pour assurer ce rôle, l’acteur qui semble le plus proche semble le psychologue scolaire, sa compétence à entrer en relation le prédispose à ce rôle. Le conseiller pédagogique pourrait également être une ressource, mais sa compétence est limitée au champ de la pédagogie. Le directeur est trop proche des acteurs en conflit. L’inspecteur est un professionnel qui connaît le système éducatif, on lui reconnaît une certaine autorité. Bien entendu, cette question du statut est un peu vaine, tout dépend des personnes. Certains psychologues en milieu scolaire et des inspecteurs n’ont pas cette compétence à restaurer des relations entre acteurs, des directeurs et des conseillers pédagogiques peuvent en revanche être des médiateurs. Mais c’est parce que le métier d’inspecteur change que la médiation assurée par un inspecteur devient possible. L’expérience d’un inspecteur, sa connaissance du milieu scolaire, de sa « logique » et de ses représentations sont des atouts qui lui permettent d’aider à l’analyse des enjeux dans un conflit. Un inspecteur de circonscription connaît également la complexité des relations entre les parents, les enseignants, les autres professionnels de l’enfance, les institutions diverses. Il a l’expérience de réunions institutionnelles (CCPE) ou non (commissions des affaires scolaires.) Il a surtout acquis des compétences pour exercer son métier d’inspecteur qui lui servent au moins dans les principes à être un médiateur pertinent. L’analyse des pratiques, l’écoute active, la mise en problème des activités professionnelles, servent indirectement l’exercice de la médiation.

             C’est certainement cette compétence à l’écoute active, à l’élucidation qui sont fondatrices de la médiation. Pouvoir comprendre empathiquement un point de vue, sans l’admettre, ni le juger ; pouvoir entendre au-delà de ce qui est dit pour élucider, faire varier les registres de l’expérience, trier les informations selon les filtres de la subjectivité constituent des points d’appui à la médiation. L’évaluation qui est essentielle au métier d’inspecteur est un processus qui recourt à la multiréférentialité, au travail des valeurs en tension. Comme ce sont les attributs de l’inspection, ce sont également des prédispositions à la médiation.

             Nous ne sommes pas naïfs au point de croire que tous les inspecteurs participent de cette expertise. Nous sommes même conscients que les inspecteurs n’exercent pas tous le même métier ; certains continuent à exercer leurs fonctions d’autorité par statut ; ceux-là se réfèrent aux textes, à leur expérience pour inspecter par injonction, par conseil. D’autres ont revêtu les attributs du management scolaire, ils se pensent en tant que cadre d’une entreprise d’enseignement ; ceux-ci pilotent avec tableau de bord et indicateurs. Il y en a pourtant d’autres qui sont attachés à la compréhension de phénomènes complexes, insus et incertains. Ces derniers ont la volonté de changer le métier. (cf. les dossiers du site: http://crdp.ac-reims.fr/ien )

Les réponses aux questions posées

1) La médiation constitue une évolution du métier d’inspecteur, dans la mesure où les institutions sont en déclin. C’est à l’inspecteur d’assurer cette fonction entre les différents acteurs de l’éducation : enseignants, personnels non-enseignants, parents, et partenaires divers. Un inspecteur, s’il abandonne à cette occasion la position hiérarchique est un des acteurs les mieux placés car il a pour métier de faire circuler la parole dans le cadre du système éducatif.

             Les obstacles restent nombreux : le retentissement émotionnel, la résonance des actes conflictuels, et sans doute son indisponibilité tant on requiert l’inspecteur dans tous les lieux de l’organisation scolaire. Pourtant, l’évolution est possible et nécessaire : possible car le métier de l’inspection a changé. La pratique de l’évaluation en entretien et en animation a développé de nouvelles compétences propres au métier. Nécessaires, car les conflits se font de plus en plus nombreux, de plus en plus vifs, tant ils laissent les personnes en conflit livrées à elles-mêmes et aux pièges des identités.

2) La finalité de la médiation est de maintenir ou de restaurer la relation entre les personnes en conflit. Il s’agit de passer des manifestations agressives à un débat dans lequel la confrontation des points de vue entretient et nourrit la relation. Le malentendu de l’acte de médiation est fondamental : le travail du médiateur consiste à faire comprendre et admettre cette finalité. Dès le début de la médiation et dans son cours. Si cette finalité unique est comprise et admise, la médiation se développe ; si elle est contestée, la médiation cède le pas à l’exercice de la loi.

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<<Bonjour, Directrice d’école, en arrêt maladie pour dépression, c’est un petit soulagement que de vous lire. Petit car je suis seule et que les mots et les idées ne suffisent pas à m’apporter l’aide dont j’ai besoin. Suite à un conflit avec un collègue délégué syndical qui a exigé que l’inspecteur envoie une convocation et un ordre du jour pour un conseil des maîtres, l’inspecteur furieux m’a rendue responsable de la situation. Lorsque je lui ai dit que je n’accepterai pas qu’il me parle sur ce ton, il m’a raccroché le téléphone au nez et envoyé un mail pour que je vienne à son bureau pour un entretien professionnel. J’ai appelé l’inspection académique de ...mais personne ne semble s’intéresser à cette situation. Je suis fatiguée, écoeurée.>>
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